Et si la SNCF était déjà morte ?

Publié le par Bernard Aubin

 

Blocage du premier train de fret privé le 13 juin 2005

 

La Région Grand-Est vient de sonner le glas des TER SNCF. Elle vient de décider d’ouvrir plusieurs lignes à la concurrence… et pas que les plus petites. De nombreuses dessertes SNCF en étoile autour de Metz et de Strasbourg devraient être assurées d’ici quelques années par la concurrence. Elles concernent des milliers d’usagers. Ces missions sont assurées aujourd'hui, directement ou indirectement, par des centaines de cheminots de la SNCF : conducteurs de trains, contrôleurs, guichetiers, agents d’escale, agents du Matériel (maintenance des rames), agents de l’Equipement (maintenance des infrastructures) sans compter les personnels administratifs et autres qui gèrent tout ce petit monde. Et demain ?

La Région Grand-Est se revendique le « laboratoire » de la privatisation des trains régionaux. Les cobayes sont les cheminots… Et l’on connaît la triste fin qui guette les animaux de laboratoire. Nous nous sommes largement exprimés, sur ce blog, du contexte et des dogmes qui ont conduit à éclater ainsi une partie de l’Entreprise Publique. Nous ne connaissons que trop les conséquences de ce libéralisme écervelé, toujours prôné par des apprentis-sorciers malgré des effets dévastateurs maintes fois établis. Ce n’est pas ce qui nous intéresse aujourd’hui.

 

Dans cette affaire, il y a le fond et la forme. Le fond, redoutable de par les dégâts qu’il engendrera, est désormais connu (voir tous les posts précédents). La forme est presque plus choquante. Venons-y. Souvenez-vous, ou piochez sur Internet. Vous y trouverez encore les traces de la circulation du premier train de fret privé sur les lignes de la SNCF. Assuré par « Connex », ce train de chaux était parti de Dugny-sur-Meuse le 13 juin 2005 pour rejoindre une aciérie allemande. Premier train concurrent, premier trafic piqué à la SNCF et non à la route… Le contrat ne représentait que 0,1% du chiffre d’affaire de la SNCF, mais, pourtant, tous les médias étaient présents : grandes chaînes nationales, reporters de la presse écrite, journalistes français et étrangers… L’affaire avait fait la première page de la presse quotidienne régionale. Et à raison, au vu des conséquences qui se sont révélées par  la suite : 10 000 emplois supprimés depuis à fret SNCF, aucun opérateur, public ou privé, ne réalise de bénéfice avec le rail, diminution de la part de marchandises transportées par fer en France… Elle était belle, cette "dynamique de redynamisation" du fret lancée par Bruxelles… Et visiblement, de ce côté, on ne change pas une méthode qui casse à merveille !

 

Les décisions que vient d'arrêter la Région Grand Est, celle où, paradoxalement, la SNCF est la plus performante en termes de régularité et de qualité de service, augurent mal du sort du TER et autres TET à l’échelon national. Ce n'est qu'une question de quelques petites années. C'est déjà demain ! L’ouverture des TGV à la concurrence privera en partie la SNCF de sa « vache à lait », une ressource responsable d'une grosse part de ses bons résultats. Privé du fret, bientôt filialisé, d’une part des bénéfices de la grande vitesse et des trains régionaux, le service public ferroviaire va immanquablement s’effondrer… dans la plus grande indifférence. Et c’est cela la nouveauté. L’hécatombe qui se prépare n’a fait que l’objet de quelques entrefilets souvent superficiels dans la presse régionale. Elle n’a pratiquement pas été relayée au niveau national alors qu’il y a vraiment le feu à la boutique. Quelques sites Internet ont un peu creusé le sujet, de même qu’une télé régionale, mais sans plus. Cette ultime étape de privatisation va bel et bien sceller, à courte ou moyenne échéance, la mort de la SNCF telle qu’on la connaît aujourd’hui. Une entreprise de démolition déjà bien entamée par la dernière réforme de 2018, soutenue par une partie de l’opinion publique.

 

Certains s’offusquent, à juste titre, des méfaits commis par les casseurs dans les manifestations. En effet, rien n’excuse ce type de comportement. Mais qu’y a-t-il de plus choquant ? Les actes délictueux commis par quelques cagoulés ou la destruction "légale", sournoise et impunie de nos services publics par des costards-cravates surs de leurs faits ?

La SNCF n’a plus la cote, et tout a été fait pour qu’elle ne l’ait plus. Idem pour son personnel.

De la a détruire en quelques mois 80 années d’évolutions ferroviaires dans ce silence assourdissant et coupable, ça ne fait visiblement mal… qu'aux cheminots. Peut-être parce que finalement, dans l'inconscient collectif, la SNCF est  déjà déjà morte...

 

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