Grèves contre la réforme des retraites : les stratégies employées pour affaiblir syndicats et bastions sociaux

Publié le par Bernard Aubin

Sarkozy en 2008 : «Désormais, quand il y a une grève, personne ne s'en aperçoit»

Parmi les nombreux points communs entre Sarkozy et Macron figurait l’insatiable volonté de réformer envers et contre tous. Ainsi que cette stratégie commune : fragiliser au préalable les derniers bastions sociaux français pour lever tout obstacle à ses ambitions. Tout cela sans mesurer les dégâts collatéraux que cette approche occasionnerait forcément au dialogue social sur le long terme.

Lorsque la grogne monte, et qu’elle n’est plus canalisée, les effets ne peuvent qu’en être plus redoutables.

La stratégie de Sarkozy

Elle figurait noir sur blanc dans son programme électoral : mise en place d’un « service minimum dans les transports ». L’objectif, assumé, ne consistait pas à améliorer le dialogue social pour baisser la conflictualité. Non, loin d’attaquer le mal à la racine, le Président avait pris le parti d’en étouffer les symptômes.

Le 21 août 2007, le Gouvernement Fillon faisait voter la loi « sur le dialogue social et la continuité du service public dans les transports terrestres réguliers de voyageurs, afin d’amortir les conséquences des grèves de transports sur les usagers. Ce n'était pas vraiment une loi sur l’imposition d’un service minimum en cas de grève, mais plutôt la contrainte, pour les entreprises, d'effectuer lors journées d’arrêt de travail le plan de transport réduit préalablement annoncé.

Une loi dont Nicolas Sarkozy était si  fier qu’il déclarera, dans un discours prononcé le 6 juillet 2008 au Conseil national de l’UMP : «La France est en train de changer.. Elle change beaucoup plus vite et beaucoup plus profondément qu’on ne le croit. Désormais, quand il y a une grève en France, personne ne s’en aperçoit.»

Et pourtant… En 2007, déjà, le trafic SNCF fut perturbé durant une quinzaine de jours par une action menée contre la réforme du régime général. Rebelote en 2010, contre la réforme du fret, puis 17 jours de grève contre la réforme des retraites. De quoi doucher l’optimisme du Président de la République et lui attirer de nombreux quolibets.

Autre axe d’attaque : la sape du front syndical. Promulguée le 20 août 2008, une loi « a transformé en profondeur la représentativité syndicale en la fondant sur des critères rénovés, objectifs et appréciés périodiquement », selon le Ministère du Travail. Si les anciens critères de représentativité étaient effectivement surannés (loi de 1950, arrêté de 1966), les nouveaux critères permettant aux syndicats de signer des accords se sont inspirés d’une « position commune » ratifiée par la CGT, la CFDT, le Medef et la CGPME. Des signataires qui rêvaient ne rêvaient que d’une chose : se partager le paysage social en éliminant progressivement leurs « concurrents ». Les rivalités entre syndicats « forts » et plus modestes furent telles que leur division a laissé des traces jusqu’à aujourd’hui. Au point que tout mouvement « unitaire » national reste encore très exceptionnel. Sur ce point, Il faut reconnaître que Sarkozy réussit un coup de maître... dont les conséquences sur l'équilibre des forces étaient pourtant très prévisibles.

La stratégie de Macron

Il n'avait rien annoncé dans son programme sur le sujet : l’un de ses premiers « combats » fut pourtant une lutte acharnée contre les potentielles poches de résistance à ses réformes. La SNCF et ses cheminots furent une nouvelle fois les ennemis à abattre. A peine arrivé au pouvoir, le Chef de l'Etat décida de faire une démonstration de force, peut-être même un exemple, en imposant à l’Entreprise Publique une énième réforme. Il s’agissait avait tout pour lui de démontrer qu’il allait atteindre un but que personne n’avait osé envisager avant lui : éclater la SNCF en Sociétés Anonymes, abolir le Statut des cheminots, renforcer la concurrence sur le réseau ferré. Les grèves menées en 2018, puis en 2019 (27 jours) ne permirent pas de faire reculer le Gouvernement. A noter qu’à l’époque, Macron s’était même offert le luxe de ne pas recourir au soutien des syndicats d'accompagnement.

Sur le plan législatif, le Président de la République n’a pas été en reste non-plus. Il ne fut pas question pour lui, de renforcer le « service minimum », même s’il en caresse l’espoir depuis le dernière grève impulsée par le Collectif des contrôleurs. Lui avait opté pour une autre stratégie : saper les syndicats de l’intérieur en les coupant de leurs bases et en les privant d’une partie de leurs moyens de fonctionnement.

Adoptées en septembre 2017, les "ordonnances Macron" ont profondément modifié les conditions de représentation des personnels au sein des entreprises. Elles ont provoqué la fusion des instances préalablement existantes (les délégués du personnel, le Comité d’entreprise et le Comité d’Hygiène de Sécurité et des Conditions de Travail) en une seule instance : le Comité Social et Economique.

Pour se rendre compte de l’impact réel de cette loi sur le dialogue social, il suffit de prendre pour exemple la SNCF. Elle disposait à l’époque de plus de 30 comités d’Etablissements, de 300 instances DP et de 600 CHSCT au plus près du terrain.

La nouvelle loi fit disparaitre toutes les instances et les interlocuteurs de proximité au profit de 35 CSE chargés, avec un nombre restreint d’élus et des moyens réduits à peau de chagrin, de la négociation des accords, du suivi technique et professionnel de l’Entreprise, de la gestion des affaires sociales, des conditions de travail et de santé, des formations…

Macron a donc délibérément placé les syndicats en situation de ne plus pouvoir assumer leurs tâches, nationales ou locales, vis à vis des salariés. Incapacité qui constitue le terreau idéal à l'émergence d’organisations parallèles, type coordinations.

Pour conclure

Le meilleur remède à la conflictualité reste le dialogue social ouvert et constructif. Les diverses stratégies mises en œuvre afin de réduire les capacités d’expression des différents canaux représentant le peuple ne seront jamais en mesure de contenir une grogne sur le long terme.

Au contraire, elles ne peuvent que mener à un effet cocotte-minute, qui soumise à pression excessive, explosera tôt ou tard. Sur le plan social, l'affaiblissement des syndicats cela se traduit par l’émergence de collectifs, d’actions ponctuelles souvent incontrôlées et incontrôlables, ou de mouvements d’ampleur imprévisibles. Différentes provocations ne font qu’exacerber les tensions.

En choisissant délibérément d’affaiblir les syndicats ou de ruiner les derniers bastions sociaux, les deux Présidents ont opté pour des stratégies parfois efficaces sur le court terme, mais extrêmement dangereuses sur le long terme. Diminuer le nombre de pompiers lorsque, notamment par ses réformes, on met le feu à la société, revient à se tirer tôt ou tard une balle dans le pied. Le temps est compté.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article