La CFTC récemment condamnée au nom de la liberté d’expression

Publié le par Bernard Aubin

 

Un récent post (ICI) évoque la condamnation, il y a une dizaine d’années, de la confédération CFTC et de sa fédération générale des Transports au nom de la liberté syndicale. Selon une méthode bien rodée, ces deux structures avaient « mis sous tutelle » la Fédération CFTC des cheminots. Crime commis : ses dirigeants avaient signé un accord électoral avec deux autres syndicats, afin de préserver une partie des moyens indispensables à son fonctionnement après la modification des règles de représentativité syndicale. Une initiative qui n’avait rien de personnel, puisque votée à l’unanimité par le Congrès des Cheminots et validée en amont par le Conseil de la Fédération des Transports.

 

C’est pourtant à titre personnel que les dirigeants de la Fédération des Cheminots avaient été traînés devant les tribunaux, selon un principe aussi simple que contestable : votre structure étant sous tutelle, vos « ex »-dirigeants n’ont plus le droit à la moindre « capacité à agir » devant les tribunaux et encore moins à diriger leur instances. Et de leur réclamer personnellement sous astreinte de quelques milliers d’euros la restitution de documents… qui n’étaient pas en leur possession. Le tribunal avait heureusement débouté les demandeurs de leur requête. Confédération et fédération CFTC des Transports avaient alors décidé de s'en prendre aux cheminots CFTC Alsaciens et de piller leurs structures… Cette tentative leur avait coûté cher : une condamnation définitive au nom de la liberté syndicale, 25 000 euros de dommages et intérêts, et surtout le départ de plus de 2500 adhérents vers une toute nouvelle Fédération, FiRST, créée pour l’occasion.

 

Hélas, cette condamnation n’a guère servi de leçon aux intéressés. Dix ans plus tard, les mêmes ont très récemment placé un autre syndicat CFTC sous tutelle. Craignaient-ils que lors d'un congrès à venir, ses dirigeants ne votent pas « du bon côté » ? Peut-être ces derniers ont-ils, comme les cheminots, refusé de se soumettre aux pressions et autres diktats, parce que surs de leur bon droit ? Toujours est-il que sur le plan professionnel, le syndicat attaqué n’a pas à rougir de ses performances : résultats en progression aux élections professionnelles, explosion du nombre d'adhérents, travail de terrain efficace, reconnaissance par les salariés sur l’ensemble du territoire national, gestion rigoureuse… Le problème ne vient pas visiblement pas de là : à la CFTC il existe un crime au-dessus de tout, celui de « lèse-gourou » ! Celui-là ne pardonne pas !

 

Comme les cheminots, le syndicat concerné avait anticipé les attaques et décidé de ne pas se laisser faire. Il a donc saisi en référé le Tribunal de Grande Instance de Bobigny pour faire annuler la tutelle. Identiques à elles-mêmes, les parties adverses ont soulevé la nullité de l’assignation, « faute de capacité à agir » des responsables du syndicat et de leur avocat. Responsables que la Confédération CFTC et sa Fédération Générale des Transports souhaitaient voir condamner PERSONNELLEMENT à payer la modique somme de 3000 euros au titre de l’article 700. A la CFTC, on ne badine pas avec le respect des ordres venus d'en haut !

 

Sauf que la Justice, elle, ne badine pas non-plus avec un droit fondamental : le droit à la défense. Dans le cadre de l’Ordonnance de référé du 13 novembre 2019 – Minute N° 19/02935 dont copie nous a été aimablement transmise, le Tribunal stipule «… en l’absence de dispositions statutaires ou résultant du règlement intérieur, tant de la CFTC que de la Fédération Générale des Transports CFTC, permettant au syndicat placé sous tutelle de contester la décision, il ne peut être considéré que messieurs (dirigeants su syndicat) aient perdu capacité à agir en Justice ». En clair, l'entourloupe maintes fois employée, qui consiste à affirmer que la mise sous tutelle interdit le droit aux dirigeants d'une structure  de contester cette décision, ne tient pas.

 

Mais le meilleur reste à venir. Le Tribunal précise :

  1. "Tout individu a droit à la liberté d’expression (article 19 de la Déclaration des Droits de l’Homme…)"
  2. « Toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques (art.20)… »
  3. « Le président peut toujours, même en cas d’une contestation sérieuse, prescrire en référé, les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble illicite » (art. 809, alinéa 1 du Code de Procédure Civile)…

Comme pour les cheminots, le Tribunal rappelle aussi que le droit pour un syndicat de s’affilier et de se désaffilier d’une organisation syndicale relève de sa liberté d’expression, liberté fondamentale garantie par la Constitution Française.

En conséquence, le Tribunal décidé de suspendre la tutelle et de condamner la Confédération CFTC et sa fédération des transports aux dépens.

Après avoir déjà été condamnées au nom de la liberté syndicale (ICI), la CFTC et sa fédération des transports se voient cette fois condamnées au nom de la liberté d'expression.

L’aimable expéditeur du jugement nous précise que compte-tenu du comportement hostile manifesté par la CFTC à l’égard de sa structure et de ses dirigeants, son syndicat a décidé de s’affilier ailleurs. Les élections qui viennent d’avoir lieu ont scellé la disparition totale de la CFTC dans l’entreprise (et peut-être dans la branche), aucune liste n’ayant pu être déposée sous cette étiquette.

On ne change pas une équipe qui perd :  500 adhérents viennent de rendre leur carte. 3000 départs, donc, cheminots compris, à mettre sur le compte des mêmes dirigeants ! Au moins auront-ils fait évoluer la jurisprudence et permettront-ils à d'autres structures, injustement attaquées, de se défendre encore plus efficacement !

Et maintenant, à qui le tour  ?

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