La "gare" de Hettange Grande fête son quart de siècle !
C’était il y a 25 ans. La « gare » de Hettange-Grande renaissait de ses cendres. Particularité de cet événement, c’est que la réouverture de ce point d’arrêt situé sur la ligne Thionville-Luxembourg avait pour origine un défi lancé à la Direction de la SNCF.
Qui aurait cru qu’une simple lettre adressée par un nouveau Président de la SNCF allait donner redonner vie à une gare qui dessert aujourd’hui plus de 500 000 usagers par an grâce à 70 trains par jour ?
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Les emprises de l'ancienne gare de Hettange-Grande avant les travaux de réouverture. A droite, le bâtiment-Voyageurs transformé en appartements
Nous sommes en 1994. Jean Bergougnoux est nommé Président de la SNCF. Dans le cadre d’un courrier intitulé « prenez votre destin en main », l’ancien directeur d’EDF invite chaque cheminot à s’engager personnellement dans le développement de son entreprise.
Alors représentant de mon organisation syndicale au Comité d’Entreprise de Metz-Nancy (la CFTC à l'époque, avant de prendre la tête de la Fédération FiRST), j’emboite le pas du nouveau dirigeant en listant, dans le cadre d’une déclaration en séance plénière, 10 propositions visant à développer la SNCF.
Mais malgré l’engagement du Directeur de Région, et les nombreux rappels effectués en ce sens, il n’y donnera aucune suite. Eh bien chiche, lui répondais-je : nous allons prendre nous-mêmes en charge l’une d’entre-elles : la réouverture de la gare de Hettange-Grande.
Un défi plus compliqué à réaliser qu’il n’y paraissait.
Un contexte - très - défavorable
Ce qui se montrait simple se révéla rapidement très compliqué. L’ancienne gare de Hettange, dont le bâtiment-voyageurs fut vendu pour être transformé en appartements, et dont les quais avaient été démolis, restait traversée par de nombreux TER circulant sur l’axe Nancy-Luxembourg. Il « suffisait » donc, a priori, de reconstruire des quais et d’y faire arrêter les trains.
Proposition que nous avions faite et qui avaient séduit les deux maires successifs de la Ville. Grégoire Hesse, tout d'abord, puis André Hentz. Mais l'idée avait laissé de marbre la SNCF, plus encline à fermer des gares qu’à en ouvrir, malgré de beaux discours en faveur du développement du rail.
Au départ, le projet avait fait l’objet d’un accueil plus que mitigé du Conseil Régional de Lorraine. A l’époque, les Conseils Régionaux n’étaient pas encore autorités organisatrices des transports ferroviaires. A l’inverse de l’Alsace, La Lorraine marquait un intérêt pour le rail des plus réservés (en politiquement correct), quand cela ne prenait pas la forme d’une franche hostilité vis-à-vis de la SNCF et de son personnel. Il a donc fallu batailler ferme pour convaincre le monde politique de l’utilité indéniable du projet pour les habitants de la zone.
Le soutien des Maires successifs de Hettange-Grande et l’appui décisif des médias
Soutenus par le Maire de Hettange, nous élaborons début 95, avec le concours d’une classe de BTS commerciaux, un sondage visant à prouver l’intérêt de la réouverture de la gare. Le 15 février 1995, le Républicain Lorrain évoque pour la première fois l’hypothèse d’y relancer le trafic Voyageurs. Soulignons que sans le soutien indéfectible des médias (Républicain Lorrain, France 3, L’Ami Hebdo, La Vie du Rail), tout au long de l’instruction du dossier, celui-ci n’aurait sans doute jamais vu le jour. Pour preuve, les deux autres projets d’ouverture de gares envisagés à l’époque par le Conseil Régional lorrain, aucun ne s’est concrétisé.
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Médiatisation du projet et recherche de soutiens
1995 : nous informons la Ministre des Transports luxembourgeoises de note initiative. Elle nous répond le 2 mars en nous souhaitant « beaucoup de succès auprès de autorités régionales et de la SNCF ». Le 13 mars, le Conseil Régional de Lorraine répond favorablement à notre requête : « Favorable à ce principe, j’ai d’ores et déjà demandé à la SNCF d’en examiner la faisabilité ».
Le 4 mars, le Républicain Lorrain publie un long article au projet de réouverture de la gare : « Et si les travailleurs frontaliers s’offraient un gare à Hettange-Grande ? ».
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Le 23 mars, nous sommes reçus à notre demande par Jean-Paul Prager, sous-préfet de Thionville, pour détailler et échanger sur le projet.
Un parcours du combattant
La médiatisation du Projet suscite l’intérêt de partenaires financiers potentiels : Ville de Hettange, bien entendu, mais aussi Ville de Thionville, Conseil Général de Moselle, Conseil Régional de Lorraine, Luxembourg, District de Cattenom,…
Pour sa part, la SNCF se cantonne à adopter une position d’observateur. Plusieurs rencontres entre les partenaires du projet sont organisées par le sous-préfet de Thionville.
Le 11 juillet 95, un projet de convention entre financeurs potentiels est rédigé… Il ne s’agit à ce stade que d’une étude de faisabilité. Mais il fera l’objet d’innombrables modifications et sa validation sera souvent repoussée.
Le 16 mars 1996, le Républicain Lorrain évoque les retards dans l’instruction du dossier : « la halte ferroviaire hettangeoise est en bonne voie malgré un retard à l’arrivée ».
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Le 23 avril 1997, la dernière mouture d’un projet de convention est enfin signée par les partenaires.
Le 3 mai 1997, le Républicain Lorrain titre, avec beaucoup d’avance, « le train s’arrêtera à nouveau à Hettange-Grande ». Dans le même temps, des travaux de dégagement de l’ancien souterrain qui reliait les deux quais sont opérés en vue de son éventuelle réutilisation.
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En octobre 1998, les contours de la future gare prennent forme, les partenaires financiers se sont déclarés, mais le budget est loin d’être bouclé. Lorsqu’ils se rencontrent en sous-préfecture de Thionville, ceux-ci s’observent en chiens de faïence, chacun attendant de l’autre qu’il dégaine son porte-monnaie avant d’évoquer le montant de son investissement.
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Extrait de l'Avant-Projet de gare
Le 3 novembre, le Républicain Lorrain évoque ce nouveau blocage dans un article intitulé « la halte ferroviaire de Hettange à l’arrêt en attendant les fonds de l’Etat ». Nos interventions insistantes lors des rencontres en sous-préfecture et dans la presse nous vaudront d’être « exclus » de la liste des participants aux réunions à venir.
Nous sollicitons alors le soutien de Bernadette Malgorn, récemment nommée Préfet de Région, qui nous rétablira dans nos prérogatives et interviendra pour lever les blocages qui entachaient l’évolution du dossier. Son intervention fut déterminante dans l’aboutissement du projet.
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Le 5 février 1999, la convention financière est validée. Coût de la gare : 6 millions de francs HT. Le 19 février, le Républicain Lorrain annonce la bonne nouvelle : « rétablissement de la halte financière de Hettange-Grande : la répartition financière arrêtée ».
Le 19 septembre 1999, la première « pierre » de la gare est posée vers 15h00. Le 20 octobre, l’hebdomadaire « La Vie du Rail » évoque le démarrage des travaux.
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Devant la première "pierre" (en réalité un élément de quai) :
A gauche, Claude Bassan, cheminot et Conseiller Municipal de Hettange-Grande en charge du projet pour la Ville. A droite, Bernard Aubin
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Le Bulletin Municipal de Hettange-Grande (EXTRAIT - octobre 1999) résume les démarches ayant abouti à l'ouverture de la halte
Le 30 janvier 2000, la nouvelle gare de Hettange-Grande est officiellement inaugurée, en présence du Ministre des Transports Jean-Claude Gayssot que j’avais invité pour l’occasion.
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Bernard Aubin, Jean-Pierre Masseret (Secrétaire d'Etat aux Anciens Combattants) et
Jean-Claude Gayssot, Ministre des Transports
Depuis, les parkings de la gare et les quais ont été agrandis pour accueillir encore plus de voyageurs.
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La "gare" de Hettange-Grande aujourd'hui (décembre 2024)
L’Historique de la gare de Hettange-Grande
La gare de Hettange-Grande se situe sur la ligne Thionville-Luxembourg, elle ouvra ses portes en 1859.
Elle devint également en 1901 origine d’une ligne à voie unique desservant la mine de fer Charles Ferdinand d’Entrange, située à 3 kilomètres de Hettange-Grande.
La gare fut fermée au trafic Voyageurs dès 1947. Seule subsista l’activité fret à compter de cette date.
La mine d’Entrange ferma en 1979, céda sa place à une coopérative agricole qui expédia quelques trains entiers de céréales jusqu’en 1981.
Cette ligne fut déposée en 1992. La gare de Hettange, alors dépourvue de trafic Voyageurs et fret, perdit toute utilité.
Entre-temps, les installations de la gare avaient été déjà été modifiées pour permettre son exploitation en dehors de la présence de personnel, et le bâtiment-voyageurs fut vendu pour être transformé en appartements.
Les voies de services furent déposées en 1992, scellant ainsi la fin de la gare.
En 1994, je lançais l’idée de sa réouverture, sous forme de Point d’Arrêt Non Géré.
6 années d’interventions furent nécessaires pour vaincre les réticences, susciter des adhésions, et surmonter les nombreux obstacles et autres lenteurs dressés dans le traitement du dossier.
La « nouvelle » gare de Hettange-Grande fut inaugurée le 30 janvier 2000 en présence du Ministre des Transports Jean-Claude Gayssot… il y a un quart de siècle.
Et l’avenir ?
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Si les quais-voyageurs et les parkings ont fait l’objet d’agrandissement depuis la réouverture de la gare (un troisième agrandissement des parkings est d'ores et déjà programmé en 2025), les capacités de la ligne et des trains qui la desservent atteindront rapidement la saturation au regard de l’augmentation exponentielle du nombre de Voyageurs transfrontaliers.
La mise en œuvre du système ERTMS ne permettra qu’une augmentation marginale, au regard des besoins, du nombre de trains pouvant l’emprunter. Le nombre de places offertes par les rames, la plupart à double étage, sera augmenté du fait de leur circulation en unités multiples (portée à terme à 3 rames au lieu de 2).
La Région annonce, pour sa part, l’objectif de créer un « RER » offrant jusqu’à 10 trains par heure et par sens de circulation sur la ligne.
Mais si ces initiatives ont le mérite d’exister, elles ne pallieront pas à moyen terme la problématique du goulot d’étranglement de la ligne entre Thionville et Bettembourg.
Seule la construction d’une troisième voie entre ces deux gares permettrait de répondre significativement, et sur le long terme, à une demande de capacité grandissante.
Un communiqué des Chemin de Fer Luxembourgeois (2023) témoigne de d’une augmentation de la fréquentation des trains… qui n’est pas prête de s’arrêter : « La ligne 90 (Luxembourg - Bettembourg - Thionville et Metz) a enregistré la hausse de fréquentation (+45%) la plus forte du réseau, passant de 3,8 millions de voyageurs à 5,6 millions ».
Soulignons que la SNCF dispose de 4 voies entre Novéant et Thionville et que le Luxembourg mettra en service 2 voies supplémentaires en 2028. A compter de cette échéance, il demeurera donc un goulot d’étranglement entre Thionville et Bettembourg, intervalle où les trains ne disposeront que de deux voies pour circuler.
Lancé concomitamment au débat sur le doublement de l’A31, le projet de 3ème voie ne semble avoir fait l’objet d’aucune attention réelle de l’Etat français, malgré le soutien des élus locaux et quelques allusions superficielles dans les documents de la Région.
Un nouveau défi à relever ? Mais trop lourd à porter par un cheminot désormais retraité !
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La Gare de Hettange-Grande (décembre 2024). Le parking au premier plan fut ajouté suite à l'afflux des voyageurs. A l'origine, une seul parking avait été construit du côté de l'ancien bâtiment Voyageurs