Il y a 20 ans, premier train de l'« autoconcurrence » ou comment la SNCF a tenté de bluffer les syndicats

Publié le par Bernard Aubin

 

Décembre 2002 : la SNCF tente de faire circuler sur les voies du réseau national le premier train « privé ». Il s’agissait plus exactement d’un acheminement organisé par la société VFLI (Voies Ferrées Locales et Industrielles), une filiale de SNCF Participations construite sur l'ossature de deux réseaux privés. Un an plus tôt, la société s’était portée acquéreur d’un autre réseau local dans l’Est de la France : celui des Houillères du Bassin de Lorraine. Et ce n’était pas une petite entreprise : 206 km de voies, 37 locomotives, plus de 800 wagons, 10 clients industriels, 5,3 millions transportées 2000 avec le concours de 250 salariés.

Caractéristique particulière de ce réseau : sa proximité avec la frontière allemande et ses nombreuses jonctions avec le réseau SNCF. Si l’objectif officiel de cette dernière était de conforter les missions de transport local du transporteur ou encore de « tisser des partenariats pour la location de matériel roulant ou créer des activités de logistique à la périphérie de son réseau ferré », la Direction Régionale de Metz-Nancy avait détaillé aux syndicats locaux d’autres enjeux stratégiques, parfois même séduisants. Tout cela de manière parfaitement officieuse, dans le cadre de réunions non-statutaires, dont le contenu ne devait être ébruité.

Nos dirigeants d’alors nous informaient que si, par malheur, la filiale de la SNCF n’avait pas fait l’acquisition du réseau mosellan, c’est sans doute une entreprise étrangère, proche de la DB (chemins de fer allemands) qui aurait pu le faire, offrant à cette opérateur concurrent autant d’opportunités que de points d’accès à notre réseau national. Rappelons que l’ouverture du réseau à la concurrence devait intervenir en 2003 sur les principales lignes et 2006 sur l’ensemble du réseau. Pourquoi les salariés de VFLI ne bénéficieraient-il pas du Statut des cheminots ? Pour rester concurrentiel, nous répondait la Direction. Soit.

Un argument massue devait alimenter favorablement les réflexions des dirigeants syndicaux : VFLI était censée, toujours selon la direction de la SNCF, ramener de nouveaux trafics à la maison mère. En bref, que du bonheur. Il avait donc été officieusement entendu que le développement de VFLI ne ferait pas l’objet de contestations majeures. Soucieux de l’avenir du fret ferroviaire et de Fret SNCF en particulier, tous les syndicats, y compris les plus durs, avaient donc décidé de jouer le jeu. Le problème, c’est qu’une fois de plus, la SNCF est restée égale à elle-même et avait décidé de la leur « faire à l’envers ».

Si, au départ, les discussions autour de l’arrivée de VFLI au Comité d’Etablissement de Metz-Nancy n’avaient pas été particulièrement tumultueuses, le ton est très vite monté lorsqu’une initiative « pas prévue au programme » avait été découverte. Fin 2022, la SNCF décida de faire circuler un train de sa filiale sur le réseau SNCF. De Creutzwald à Bouzonville pour être précis, où la rame devait être reprise par la DB pour être acheminée en Allemagne. Seuls 18 km devaient être parcourus sur le réseau national, mais c’était 18 km de trop.

Car les syndicats n’ont guère apprécié cette TRAHISON. D’autant plus que de leur côté, ils avaient particulièrement bien joué le jeu et entièrement respecté leur engagement tacite. Il ne s’agissait plus de COMPLEMENTARITE entre maison-mère et filiale mais de concurrence. Plus précisément d’autoconcurrence. Ce qu’avait largement sous-estimé la Direction, c’est la colère qui devait suivre. L'AFP avait été avisée, l'affaire prit alors une dimension nationale. De nombreux médias avaient fait le déplacement pour couvrir l’événement. A tel point que le train programmé a finalement bien circulé, mais tracté par une locomotive SNCF.

Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts depuis cette histoire. VFLI s’appelle désormais CAPTRAIN, la concurrence qui était censée sauver le fret ferroviaire s’est emparée du réseau national au détriment de Fret SNCF et surtout sans que cela ne relance le trafic ferroviaire de marchandises, le « wagon isolé » (porte à porte) a fait les frais de cette initiative libérale Ce qui n’a pas changé, en revanche, c’est la propension des décideurs à ne pas respecter leur parole. Et c’est là tout le sens de ce petit rappel historique.

Pour être constructif, le dialogue doit être ouvert, honnête, gagnant-gagnant, fondé de part et d'autre sur le confiance et le respect de la parole donnée. Tout le contraire des pratiques françaises, à la SNCF comme ailleurs. A méditer en cette période de conflits sociaux…

A lire : Dans l'Est, les syndicats bottent le train à la filiale VFLI (Libération)

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G
Décembre 2002 je pense...
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B
Erreur corrigée ! MERCI !