Réforme des retraites : ce qu’il va se passer

Publié le par Bernard Aubin

 

Inutile d’être voyant pour prédire ce qui se passera lors de la prochaine réforme des retraites. Il suffit pour cela de jeter un regard dans le rétroviseur. Les stratégies mises en œuvre aujourd’hui par le Gouvernement ressemblent à s’y méprendre à celles qui avaient été déclinées à la SNCF en 2018.

Souvenez-vous. Emmanuel Macron, débutant dans ses nouvelles fonctions, avait entrepris de réussir là où tout le monde avait échoué avant lui : réformer la SNCF. Avant tout pour satisfaire son égo en démontrant qu'il pouvait réussir là où tous les autres avaient échoué, mais aussi pour vaincre un des derniers bastions sociaux en mesure de résister à ses réformes. Ou plutôt aux nombreux reculs sociaux qu’il souhaitait tour à tour imposer aux Français.

Acte 1 : stigmatisation

Edouard Philippe déclarait en février 2018 : « La situation est alarmante, pour ne pas dire intenable. Les Français, qu'ils prennent ou non le train, payent de plus en plus cher pour un service public qui marche de moins en moins bien ». Cette intervention visait à la fois à présenter la réforme de la SNCF comme indispensable, mais aussi au passage à stigmatiser une entreprise et son personnel pourtant victimes du désintérêt des Gouvernements successifs pour le transport ferroviaire.

Au début de son premier quinquennat, Emmanuel Macron n’envisageait pas encore, conformément à son premier programme, le recul de l’âge de départ en retraite. Il jouait cependant sur la même corde que son Premier ministre de l’époque en  proposant la mise en place progressive d’un système unique de retraites, jugé  plus juste et plus lisible en remplacement des 37 régimes en vigueur. En clair, le Président de la République justifiait sa démarche par une recherche d’équité, oubliant au passage que les spécificités de certains régimes venaient en compensation de salaires la plupart du temps modérés.

Acte 2 : postulats

« Le nouveau pacte ferroviaire consiste d'abord à construire une nouvelle SNCF… Donc, aux nouvelles générations, aux apprentis, à tous ceux qui veulent s'engager dans la SNCF, nous disons qu'ils bénéficieront des conditions de travail de tous les Français, celles du code du travail ». Ces deux phrases, toujours extraites du discours d’Edouard Philippe, ont constitué l’ossature intangible de la réforme des retraites : la SNCF devait perdre son statut d’Epic et les nouveaux cheminots leur Statut spécifique.

Concernant les retraites, le dernier programme électorale d’Emmanuel Macron revendiquait  « le relèvement progressif de l’âge  légal de départ à la retraite à 65 ans » et « la suppression des principaux régimes spéciaux (EDF, RATP...)  pour les nouveaux entrants, comme nous l’avons fait pour la SNCF » (page 13). Le Président ayant été réélu sur la base d’un tel postulat, le sujet ne devrait donc, en principe, ne plus faire débat. Sauf que les projets d’un Macron incontestablement en perte de vitesse, reconduit plutôt par défaut que par adhésion, ne font pas forcément l’unanimité, loin de là !

Acte 3 : la « concertation »

Comment légitimer une réforme ? En affichant un dialogue social nourri à défaut de le pratiquer...  A la SNCF, la chose était entendue. L’Entreprise devait être éclatée en 5 Société Anonymes (intégrant l’ex Réseau Ferré de France) et le Statut des cheminots devait être promis à une lente disparition. Quelle fut la marge de manouvre des syndicats sur ces points cruciaux ? Aucune. A quoi se limitait alors le champ de la concertation ? Aux modalités de déclinaison d’une réforme contestée par une écrasante majorité du personnel. Pour preuve, l’interview d’Elisabeth Borne le 4 décembre 2019 : « le Gouvernement a dit à la fois qu'il est déterminé à mettre en œuvre la réforme mais qu'il y a une place pour une discussion sur la transition. Et donc moi, j'espère qu'on va pouvoir avoir ces discussions sur les modalités de mise en œuvre de la réforme ».   

Idem en ce qui concerne LE point important de la réforme des retraites. Le postulat a été gravé dans le marbre par Emmanuel Macron et son Gouvernement : recul de l’âge de départ à 65 ans. De fait, les autres possibilités d’élargissement de l’assiette de cotisation de retraites sont dès le départ  écartées des négociations. Sur quels points la « concertation » pourra-t-elle donc porter ? Sur quelques points accessoires et, une nouvelle fois, sur les modalités de mise en œuvre d'un réforme qui ne manquera pas de soulever la contestation. Cette fois, le Président de la République ne pourra vraisemblablement plus s'affranchir du soutien des syndicats d’accompagnement, comme il en avait fait l'économie à la SNCF. Surtout depuis l’épisode des Gilets Jaunes qui l'avait cruellement dépourvu d'interlocuteurs.

Acte 4 : contestation et provocation

La réforme de la SNCF fut sans doute à l’origine de la plus grande grève que l’Entreprise ait connue. La détermination des cheminots resta sans faille des semaines durant sans émouvoir le Gouvernement. Pas plus que le fait de laisser tous les jours des millions de Voyageurs à quai.  Bien avant le lancement d’une réorganisation dont elle pressentait déjà les conséquences sociales, Elisabeth Borne tentait déjà de mettre en porte à faux les arguments des salariés  : «Les Français n’ont pas envie de trois mois de grève que rien ne justifie» (mars 2018). En vain !

Revenons-en aux propos tenu en septembre 2019 par Edouard Philippe sur le projet de réforme des retraites. Le Premier ministre de l’époque souhaitait préciser qu’il avait bien retenu la leçon de la crise des Gilets Jaunes, symbolisée par un sentiment « d’incompréhension et de dépossession » des Français. « La méthode que nous voulons utiliser pour ce grand projet (…) : plus d’écoute, plus de dialogue avec les corps intermédiaires » avait-t-il souligné. Les thèmes de l’écoute et de la concertation réapparaissent aujourd’hui sous le Gouvernement Borne. Mais comme hier, les marges de négociation se limitent à la longueur de la corde avec laquelle les salariés seront pendus. Et gare à eux s’ils contestent, le moment venu, le bien-fondé d’une réforme par « des actions que rien ne justifierait ».

Acte 5 : Cocktail explosif et risque de chaos

Le succès mitigé de la récente grève lancée par quelques syndicats autour d’un "catalogue de la Redoute" de revendications diverses et variées ne peut absolument pas préjuger d’une éventuelle mobilisation des Français. La perspective d'un mouvement d'ampleur, qui catalyserait un sentiment de ras-le-bol général, n'est pas à exclure .

La baisse du pouvoir d’achat, la contestation grandissante de la légitimité des pouvoirs politiques nationaux, l'exaspération face à la multiplication des contraintes de tous ordres, la multiplication des inégalités, sont propices à une explosion sociale non maîtrisée et non-maîtrisable.

Si les Gilets Jaunes ont déjà surpris par la nature et l’ampleur d’un mouvement sans précédent, la désintégration progressive de la France conjuguée à la multiplication des dérives sociétales laisse émerger autre risque redoutable : celui d’un chaos généralisé durant lequel la sûreté même des Français serait menacée.

Raison de plus pour ne plus jouer avec le feu, de cesser toute provocation, et de pratiquer enfin un véritable dialogue, tout simplement.

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