Macron et les Cheminots : 7 ans de désamour !

Publié le par Bernard Aubin

Si  une catégorie professionnelle  gardera avant les autres un mauvais souvenir du « nouveau » Président  de la République élu en 2017, c’est bien les cheminots. Ces salariés n’avaient déjà pas été épargnés par Nicolas Sarkozy. Celui-ci avait mené à leur encontre une campagne qui pouvait s'apparenter à une forme de « racisme professionnel ». Cette stratégie, odieuse et sans précédent, visait à retourner l’opinion publique pour favoriser l’entrée en vigueur  de la réforme des retraites. François Hollande avait quant à lui à sa manière « réunifié » en la divisant en 3 EPIC. A cette occasion, les infrastructures revenaient dans le giron de  l’Entreprise. Mais la « dette infrastructures » aussi !. Emmanuel Macron, pour sa part, n’avait pas évoqué dans son programme électoral ceux qu’il avait choisis comme premières victimes de sa politique libérale et antisociale : la SNCF et ses cheminots.

Sitôt arrivé au pouvoir, le Chef de l’Etat mettait son gouvernement en ordre de bataille pour éclater l’Entreprise et surtout briser un acquis social : le Statut des Cheminots. Un texte qui ne s’applique plus aux cheminots embauchés depuis 2020 et qui fête ses 110 ans cette année… Visiblement, au 21ème siècle, toute « évolution » ne peut se traduire que par des réformes, toujours présentées comme indispensables, qui sapent tour à tour toutes les évolutions sociales. Cette politique émane des cerveaux de technocrates libéraux, tous formés à la même école, et qui se sont répandus  partout dans la société. Pour imposer les reculs sociaux, la recette est toujours la même : dissimuler ces desseins derrière une recherche d’équité et de justice sociale. Ce qui se traduit à terme par un nivellement vers le bas des acquis sociaux de TOUS les français. C’est ainsi que chacun cheminerait allègrement vers une retraite à 65 ans, pour certains avec des pensions au rabais, pour d’autres au fond du cercueil... Revenons-en au sujet.

Pourquoi Macron s’est-il acharné à ce point contre les cheminots et leur Entreprise ? Nous y voyons trois raisons, bien loin des motifs officiellement évoqués à l’époque :

  1. Une question d’égo : E. Macron voulait démontrer qu’il serait en capacité de réussir là où tout ses prédécesseurs avaient échoué avant lui : bousculer les fondements mêmes de la SNCF et faire voler en éclat un Statut très cher aux cheminots.
  2. Faciliter l’arrivée de la concurrence et des entreprises privées sur le réseau national
  3. Casser la dernière poche de résistance française pour disposer d’une pleine liberté d’action lors de la mise en œuvre des réformes les plus antisociales et rétrogrades.

Peu disposés à voir ainsi bradés leurs acquis sociaux et liquider leur Entreprise, les cheminots se sont mobilisés à plusieurs reprises à travers des grèves d’ampleurs sans précédent. Ironie du sort, l’attitude et les provocations du Chef de l’Etat ont finalement mobilisé bien au-delà de la sphère conventionnelle, avec le Mouvement des Gilets Jaunes. Et le Covid  viendra à bout de la réforme des retraites programmée durant le quinquennat.

 

Les 7 années d'attaques et d'entourloupes de Macron 

 

Aout 2015 : Emmanuel Macron, encore Ministre de l’Economie, libéralise le transport par autocars. Loin d’instaurer une complémentarité entre le rail et le bus, cette initiative fragilise encore un peu plus une SNCF déjà bien malmenée par des conditions de concurrence déséquilibrées avec la route. Les cars entrent en concurrence frontale avec certains Trains d’Equilibre du Territoire mais aussi avec les TGV, principale source de revenus de la SNCF. Malgré la faillite de plusieurs opérateurs survenue depuis, la SNCF sera amputée de parts de marché non-négligeables.

Mai 2017 : Emmanuel Macron est élu. Président de la République, avec 24,1 % au premier tour et 66,1 % au second. Le nouveau Chef de l'Etat annonce rapidement sa volonté de réformer la SNCF, alors que ce point ne figurait nullement à son programme. Notons que l’Entreprise avait déjà fait l’objet d’une réorganisation sous François Hollande en 2014 sous forme de trois EPIC : l’EPIC de tête, SNCF Réseau et SNCF Mobilités.

19 septembre 2017 : Elisabeth Borne, Ministre des Transports, lance les « Assises nationales de la mobilité »… sans la SNCF. Cette « concertation » sur les grandes orientations et les priorités d'investissement dans les transports s'adresse au grand public et à tous les acteurs du territoire, en vue de préparer la future loi d'orientation des mobilités. La SNCF en est délibérément écartée, sous prétexte que sa situation fait l’objet d’un examen spécifique (rapport Spinetta). Au point que ni son Président, ni les dirigeants présents lors des colloques ne seront appelés à s’exprimer. Jusqu’à être écartés des tribunes. Tel un gros mot, « SNCF » ne sera d’ailleurs pratiquement jamais prononcé dans les interventions… sauf par une association qui réclame plus de place pour les vélos dans les TER !

Le 15 février 2018, Jean-Cyril Spinetta, ancien PDG d’Air France, remet au Gouvernement le rapport sur l'avenir du ferroviaire en France qui lui avait été commandé. L’intéressé avouera en privé n’avoir pu disposer que de trois mois effectifs pour boucler son analyse. Trois mois seulement pour traiter de l’avenir de la SNCF et de 150 000 cheminots ! Comme par hasard, les préconisations du rapporteur valident les orientations déjà arrêtées par Emmanuel Macron : la transformation de la SNCF en Sociétés Anonymes, l'accélération de la concurrence, la fin du Statut des cheminots. Seul point auquel le Gouvernement n'a pas donné suite, face aux levées de boucliers des élus locaux : la réduction drastique des dessertes capillaires et de certains trajets TGV.

Le 26 février 2018 : Edouard Philippe, alors Premier ministre, lance la réforme et tente d’illustrer ainsi la pertinence de son action : « Les Français, qu'ils prennent ou non le train, payent de plus en plus cher pour un service public qui marche de moins en moins bien ». Si le constat paraît réaliste, il écarte les causes véritables de cette baisse de performance : sous-investissement dans la maintenance du réseau classique, manque de personnel, gestions technocratique et cloisonnée de l’Entreprise… Les cheminots, qui s’acharnent au quotidien à maintenir la meilleure qualité de service avec les moyens du bord encaissent cette phrase comme une véritable provocation. D’autant plus que dans le même discours, Edouard Philippe annonça la fin du Statut des cheminots, comme s’il rendait les agents de la SNCF coupables de la situation d’une entreprise… dirigée et gérée par l’Etat.

Le 2 avril 2018, plusieurs syndicats de la SNCF lancent une grève contre la réforme sous un format inédit. L’action se prolonge jusqu’en juin faisant perdre 790 millions d’euros à l’entreprise. Les cheminots souhaitent notamment maintenir l’unicité de l’Entreprise et leur Statut. Le Gouvernement campe sur ses positions, limitant le champ des négociations aux seules modalités de mise en œuvre de la réforme. Guillaume Pepy, Président de la SNCF et Elisabeth Borne Ministre des Transports, fustigent d’une seule voix une grève « décalée » ou « incompréhensible » au vu de la « concertation » engagée. Une ultime provocation pour les cheminots.

Le 25 mai 2018, l'État, par la voix de son Premier ministre Édouard Philippe, s'engage à reprendre en deux étapes 35 milliards de dette dite « de la SNCF » sur un total de 54,5 milliards. Précisions qu’il s’agit là que d’une reprise partielle de la dette de SNCF Réseau… Un dette qui aurait dû être apurée en même temps que les réseaux ferrés ont été ouverts à la concurrence. Une obligation qui résulte de la directive 91-440 (qui date de… 1991, comme son nom l’indique)  jamais traduite en France (en Allemagne, la dette de la DB avait été entièrement reprise par l’Etat, avant l’ouverture à la concurrence du réseau). Il ne s’agit donc pas là d’un cadeau, et encore moins pour les cheminots.

Le 14 juin 2018, le projet de loi « pour un nouveau pacte ferroviaire » est définitivement adopté par le Sénat après l’accord entre députés et sénateurs sur une version commune du texte. La loi n° 2018-515 du 27 juin 2018 « pour un nouveau pacte ferroviaire » met fin à la SNCF « service public » et au Statut de son personnel, fruit d’années d’échanges et d’évolutions sociales.

Octobre 2018 : début des opérations des Gilets Jaunes qui se poursuivront plusieurs semaines jusqu’à étiolement en  2020. Tout d’abord mobilisés autour de revendications touchant au prix des carburants, à la fiscalité, au niveau de vie, les manifestants aux demandes parfois contradictoires se retrouveront tous autour d’un même slogan : « Macron, démission ! ». Les provocations du Gouvernement à l’égard des cheminots n’ont pas suscité de compassion auprès du plus grand nombre. Mais ce qui devient eu fil du temps la « marque de fabrique » d’ E. Macron s’élargit et provoque l’hostilité d’un nombre grandissant de français.  « Je traverse la rue et je vous trouve un travail » avait-il adressé à un chômeur le 15 septembre 2018, « une gare, c’est un lieu où on croise les gens qui réussissent ou ceux qui ne sont rien », le 29 juin 2017, « je ne cèderai rien… aux fainéants… » le 8 septembre 2017,… « Jupiter » se réfugie même dans le bunker de l’Elysée face à une montée de colère des manifestants. A trop jouer avec le feu, on finit par se brûler.

24 octobre 2019 : Le mea culpa de Macron : «J'ai appris que dans plusieurs situations je n'avais pas réussi à me faire comprendre qu'à vouloir faire bouger les choses avec impatience, énergie, j'avais parfois blessé, donné le sentiment que je voulais changer le pays contre les Français eux-mêmes», s’auto-flagelle Macron sur RTL.  Malgré cet aveu de circonstance, l’individu ne changera rien à ses pratiques : « je décide seul, j’impose ce que j’ai décidé, et je laisse aux partenaires sociaux le loisir de discuter les modalités d’application de mes projets » pourrait-on résumer ses pratiques. A noter qu’Emmanuel Macron, à l’inverse de ses prédécesseurs, a toujours fait l’économie du soutien des syndicats d’accompagnement pour faire aboutir ses réformes, plaçant souvent ces derniers en fâcheuse position.

Décembre 2019 : Lancement de la réforme des retraites. Edouard Philippe résume officiellement les grandes lignes du projet de réforme des retraites : fin des quarante-deux régimes existants, notamment des régimes spéciaux, au profit d’un système universel en répartition qui fonctionnera en points. L’âge légal de départ en retraite (62 ans) et le niveau des pensions ne sont pas censés être touchés. Les cheminots, déjà lourdement impactés par la réforme de 2018 (éclatement de la SNCF, promotion de la concurrence, suppression du Statut pour les nouveaux embauchés) se trouvent une nouvelle fois dans le collimateur du Président de la République. Et pour les cheminots, ça fait décidément beaucoup, et beaucoup trop. Une grève démarre le 5 décembre. Elle durera 36 jours étalés sur trois mois : « la plus longue de l’histoire de la SNCF ». Coût pour l’entreprise : plus de 600 millions d’euros. Et des millions de voyageurs restent à quai dans la plus grande indifférence du Gouvernement.

1er janvier 2020 : entrée en vigueur de la Réforme de la SNCF Macron : Les 3 EPIC (Etablissements Publics Industriels et Commerciaux) deviennent 5 Sociétés Anonymes : SNCF (la société mère), SNCF Réseau, SNCF Gares & Connexions, Rail Logistics Europe et SNCF Voyageurs. A partir de ce jour, les nouveaux embauchés ne bénéficient plus d’un Statut déjà bien écorné au fil du temps. Un recul social d’une ampleur sans précédent dans une Entreprise devenue « comme les autres » (objectif fixé par la Direction dans les années 90) voire parfois pire que les autres en termes de « management ».

3 mai 2020 : Covid : le Gouvernement refuse d’aider la SNCF. Alors que la France et les Entreprises sont gravement impactées par les dégâts collatéraux occasionnés par la pandémie, le Président de la SNCF appelle le Gouvernement à l’aide. Renault et Air France ont déjà fait d’une intervention du Gouvernement. Mais pour le Secrétaire d'État aux Transports, Jean-Baptiste Djebbari, « il est trop tôt pour parler des aides que l'État pourrait apporter à la SNCF ». Jean-Pierre Farandou souligne que le manque à gagner de de l’Entreprise s’élève déjà à deux milliards d'euros. Et se déclare prêt à sacrifier l’emploi en contrepartie de l’aide de l’Etat : « Je crains toutefois que notre bilan, notre endettement soit trop important... La notion d'un plan d'aide à la SNCF ne me parait pas déraisonnable… La thématique (de l'emploi) est sur la table ».

Septembre 2020 : l’Etat et la SNCF annoncent finalement un « plan de relance et des investissements à hauteur de 4,7 milliards d’euros. L’envers du décor est plus triste. 500 recrutements prévus au budget 2020 ne seront pas réalisés, le budget effectif de 2021 annonce la suppression de 600 emplois : au total, ce sont 1200 emplois qui disparaissent. Comment assurer dans ce cas la maintenance du réseau et un relancer Fret moribond qui a perdu 20 % de ses effectifs en deux ans, malgré toutes les incantations sur l’écologie et les transports décarbonés ?!

Janvier-février 2022 : le projet de Contrat de Performance 2021-2030 entre Etat et SNCF  fait l’objet de nombreuses critiques. Le 11 janvier, le Sénat communique : « il serait dommage que la version du contrat qui sera transmise au Parlement, après les consultations prévues par la loi, ne soit pas à la hauteur des ambitions pour le fret ferroviaire et se cantonne à une vision strictement budgétaire ». Cette approche « exclusivement budgétaire » est également critiquée par la FNAUT qui dénonce : « 2,9 milliards d’euros par en moyenne sur la période, cela permettra seulement d’arrêter le vieillissement du réseau principal, soit les lignes UIC 2 à 6. Le reste du réseau continuera de vieillir et l’ensemble ne sera pas modernisé ». « Le projet de contrat fait l’impasse sur la définition d’une vision cible du réseau et prévoit un effort de modernisation un  renouvellement insuffisant, au risque d’entraîner SNCF Réseau dans une spirale de paupérisation industrielle, pointe  pour sa part l’Autorité de Régulation des Transports dans l’avis adopté le 8 février ». Bernard Roman, Président de cette Autorité, illustre le manque d’ambition du contrat : « pour entretenir ses 28 000 kilomètres de voies ferrées, SNCF Réseau « consacrera 200 000 euros par kilomètre », le futur contrat de performance prévoit de « rester au même niveau que lors des cinq dernières années. » A titre de comparaison, l’Allemagne qui dispose du plus grand réseau européen avec 40 000 kilomètres, accorde 270 000 euros d’entretien par kilomètre de ligne et prévoit une augmentation de 50 % de ses moyens ».

 

17 mars 2022 : L’Etat et la SNCF signent une nouvelle convention en vue d’organiser et de financer les « Trains d’Equilibre du Territoire » (Intercités). En réalité, ce contrat semble bâti pour organiser la période de transition, le temps que les lignes radiales soient reprises par les opérateurs privés. Ainsi, les relations Paris-Orléans-Limoges-Toulouse, Paris-Clermont-Ferrand, Bordeaux-Marseille, Nantes-Lyon, Nantes-Bordeaux, Toulouse-Hendaye, Clermont-Ferrand-Béziers, et les trains de nuit récemment remis sur rail et miraculeusement opérés par la SNCF (de Paris à Briançon et Nice vers le Sud-Est, Paris à Toulouse, Rodez et Albi, Lourdes, Latour-de-Carol et Cerbère vers le sud-ouest) pourront  être maintenus, le temps d'être progressivement repris par la concurrence.

5 avril 2022 : Le journal "Le Parisien" révèle que le gestionnaire d’infrastructures, SNCF Réseau, aurait accordé une réduction importante sur les péages  à Trenitalia. L’opérateur  italien a lancé en décembre 2021 des trains à grande vitesse sur la LGV entre Paris et Lyon, en concurrence frontale avec les TGV. Selon le journal, la réduction atteindrait 37 % la première année, de 16 % la seconde et de 8 % la troisième année. Motif invoqué : SNCF Réseau voudrait ainsi démontrer son impartialité vis-à-vis de la concurrence, quitte à tirer une balle dans le pied de SNCF Voyages... qui paie le prix fort. Autre explication plus plausible : les pressions exercées par Bercy sur SNCF Réseau pour favoriser la concurrence. Rappelons que le Gouvernement avait placé EDF dans une situation similaire en février 2022, obligeant l’opérateur historique à vendre à ses concurrents 46,20 euros le MWh pour un coût de production de 300 euros, soit une perte de 8 milliards d’euros pour EDF. Écœurant !

Tous ces exemples illustrent, de manière factuelle, la politique de casse menée à l’encontre de la SNCF.

Les grèves n'ont constitué qu'une réponse aux diverses attaques lancées par Macron contre les cheminots et leur entreprise.

Elles auront coûté à cette dernière près de 1,5 milliards d’euros. Des trafics fret auront été définitivement perdus, de mêmes que des clients-voyageurs. Des millions d’entre-eux sont restés plusieurs mois à quai, du fait de l’entêtement et de l’égo d’un homme qui a toujours campé sur ses positions initiales sans laisser de moindre marge à la  négociation.

Le 31 janvier 2019, le Chef de l’Etat se confiait ainsi sur la crise des Gilets Jaunes : « J'ai beaucoup appris de ces vingt mois. Ça m'a scarifié ». Le 3 mars 2022, E. Macron officialisait sa candidature. Il précisait dans son allocution : « Nous n’avons pas tout réussi. Il est des choix qu’avec l’expérience acquise auprès de vous je ferais sans doute différemment ».

Différemment, sans doute, pour être pire encore. Car l'homme durant 5 années de mandat, l'homme n'a rien gagné, ni en sagesse, ni en humilité, ni en humanité. Le premier tour pourrait tout changer, si les Français le souhaitaient vraiment… Un pari loin d'être gagné !

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