Décès de Bernard Pons : l'augmentation de 168 % des embauches à la SNCF...

Publié le par Bernard Aubin

 

Bernard Pons : « Le message est passé »

Il y a des rencontres qui marquent plus que d’autres dans une carrière. Chargé par ma Fédération de la négociation des conditions de reprise après la grande grève des cheminots de 1995, j’avais eu l’occasion de rencontrer quelques fois celui qui fut, entre  95 et 97, le Ministre de l’équipement, des transports et  du tourisme du sinistrement connu des cheminots Alain Juppé (le Macron de l'époque, pour les plus jeunes), sous la présidence de Jacques Chirac.

Nous étions au lendemain de l'une des plus grandes grèves de la SNCF. Le climat social restait fragile. Le Gouvernement craignait qu’une nouvelle étincelle puisse faire repartir un conflit qui bloquerait une nouvelle fois le pays. Pour alléger la dette de la SNCF sans l’intégrer dans  celle de l’Etat, soi-disant pour respecter les critères européens, le Gouvernement avait proposé un subterfuge : créer un nouvel EPIC, RFF, a qui serait transféré la « dette infrastructure » mais aussi tout le réseau ferroviaire "SNCF".

Une hypothèse qui sans susciter véritablement l'adhésion des gros syndicats, n’avait dans un premier temps pas été condamnée par les deux plus puissants d’entre-eux : à l’époque, la CGT et la CFDT. Deux organisations qui pratiquaient une co-gestion non-assumée tout d’abord avec l’éphémère président de la SNCF Loïc Le Floch Prigent (qui dû précipitamment quitter le navire, pour raison de Santé), puis plus longuement avec Louis Gallois.

Mais alors qu’au niveau national la réforme annoncée n’avait jamais fait l’objet d’une condamnation formelle, contrairement à ce que ces syndicats prétendaient sur le terrain, ils ont brusquement changé leur fusil d’épaule pour envisager de lancer une nouvelle grève, sans doute alibi, contre cette réorganisation du système ferroviaire. Etonnement de la part du Ministère des Transports qui visiblement ne s’y attendait pas.

Venons-en à l’une des rencontres avec Bernard Pons. Nous entrons dans le bureau du Ministre, Hôtel de Roquelaure à Paris. Il surgit quelques minutes plus tard avec ses conseillers, nous salue, lit un texte tout prêt sur le projet du Gouvernement. Les feuilles sont imprimées en police de caractère de plus de 30, histoire de faire l’économie des lunettes. A l'issue du volet "officiel", Bernard Pons s’adresse à nous : « peut-on se parler franchement ? Pas de problème, M. le Ministre, lui répond-t-on.

« Je ne comprends pas l’attitude de la CGT et de la CFDT. On a travaillé avec eux sur le projet, ils n’ont pas semblé opposés, et maintenant ils menacent de repartir en grève ! Vous savez, s’il y a une grève, la réforme ne se fera pas. Alain n’y est pas très favorable. Pensez-vous que cette grève serait suivie ? » nous interpelle Bernard Pons. "Alain" ? AIain Juppé évidemment ! Un Premier ministre que les cheminots n'avaient guère épargné... et qui aurait vu d'un bon œil que la SNCF sombrât sous le poids de "sa" dette.

J’avais rencontré Louis Gallois quelques jours avant. Et avait souligné qu’une réforme quelle qu’elle soit ne pourrait être acceptable qui si les cheminots en tiraient un bénéfice tangible, que s’ils constataient un changement, une rupture dans la politique menée par l'Entreprise depuis des années. Cette évolution  pouvait, par exemple, prendre la forme d'une remise en cause des suppressions d’emplois et se traduire par un effort  d’embauche significatif. Il m’avait renvoyé dans mes 18 mètres, préférant négocier la reprise avec ses partenaires privilégiés.

Alors, j’ai saisi la perche tendue par Bernard Pons. Si je croyais que la grève allait repartir comme en 95 ? Pas du tout, mais j’ai tenté un coup de bluff : « vous savez, M. le Ministre, on ignore encore pourquoi ce conflit a pris une telle ampleur. Je pense que le feu couve toujours sous les braises et qu’il suffirait de peu pour que le pays soit de nouveau bloqué ». « Qu’est ce qui pourrait apaiser la situation selon vous ?», m’interroge Bernard Pons. Ses yeux bleus semblent traverser mes pensées et témoignent d’une vivacité d’esprit hors du commun. Et là, je lui répète mot pour mot la proposition faite à Louis Gallois : « envoyez aux cheminots un message fort, embauchez ! ». Nul n'était besoin d’entrer plus dans les détails. L’entretien était terminé.

Le Ministre nous raccompagne à la sortie. Il me prend par le bras et me dit : « Monsieur, le message est passé. J’appelle rapidement Louis Gallois ». Deux semaines plus tard, j'apprenais presque par hasard que la SNCF avait augmenté ses prévisions d'embauches de 168 % par rapport aux objectifs initialement fixés pour l'année. Mais compte tenu de la proximité de la direction avec les co-gestionnaires de l’époque, qui auraient sans doute souhaité mettre ces embauches sur le compte de leur grève, la SNCF s’est bien gardée d’évoquer le sujet sur la place publique.

Pas grave, je m’en suis chargé. Un communiqué de presse est parti dans tous les sens, ce qui m’a valu une  colère hystérique de la part du DRH de l’époque, très proche du syndicat majoritaire, une organisation qui allait sans doute lui demander des comptes. Cela n’a pas non-plus favorisé mes relations avec Louis Gallois… alors qu’au final, je lui avais sans doute évité une grève majeure (dont le préavis avait été maintenu mais qui fut un flop) et j’avais « permis » à 2000 demandeurs d’emplois de devenir cheminots.

Adieu Bernard, entre Bernard on s’était compris, même si nous n’étions pas du même bord…

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F
Mon bon Bernard <br /> En cette période là de 1995 nous n'avions que peu d'infos de la <br /> Fédé ! Livrés à nous même, en Région du sud, dans ce grand tourbillon, nous étions obligés dans les secteurs<br /> de danser le Tango ...un pas en avant et un pas en arrière !!!!<br /> Dur de comprendre les attendues de la Fédé ...le téléphone de l'époque de fonctionnant que<br /> dans un seul sens ...du sud vers le nord.<br /> Cordialement et syndicalement<br /> Fonzy
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B
Bonjour mon bon Fonzy. Je me rappelle effectivement cette même époque. Mais hélàs, lorsque j'avais tenté de faire évoluer la situation vers un travail réellement en commun, mes propositions avaient été refusées par un Congrès, ce qui m'avait amené à prendre du recul. La suite, on la connaît. Ceux qui ont présidé à ce choix furent les premiers à offrir leur service ailleurs. Mais n'ayons aucun regret. Et ne gardons de cette période que les bons souvenirs. Il en reste aussi.