Le pont de Mirepoix s'effondre, la qualité des investigations aussi...

2 morts, et la vision apocalyptique des restes d’un pont suspendu, dont le tablier baigne dans la rivière… Ces faits ont marqué la France entière. Des morts, il y en a tous les jours sur les routes, mais des ponts qui s’effondrent, c’est moins courant. D’autant plus que depuis la catastrophe de Gènes, tous les projecteurs ont été braqués sur la fragilité de ces édifices. En Amérique, parait-il, la majorité des ponts est dans un tel état que les risques d’effondrement sont redoutés. En Italie, c’est déjà fait… La France manquait à l'appel. Retard rattrapé ?
Ceci explique pourquoi de très nombreux journalistes ont, dès l’accident, mis en doute l’état de conservation du pont... sans évoquer de piste alternative. L’édifice avait en effet tout pour déplaire, notamment sa mise en service en 1931 qui faisait de lui un vieil ouvrage. Et puis, un rapport sénatorial de juin 2019 stipule qu' « au moins 25 000 ponts sont en mauvais état structurel et posent des problèmes de sécurité et de disponibilité pour les usagers ». La messe était dite : vieux et mal entretenu, le pont a rompu… Du coup, les reportages tournés sur de vieux édifices décrépis se sont succédés. La France a peur, ses ponts vont s’effondrer.
Un simple détail aurait cependant dû appeler à la vigilance : les haubans ont rompu au passage d’un camion, suivi par une voiture. Sans être architecte, vu l’étroitesse manifeste de l’édifice, il eut été bon de se poser la question de savoir s’il était techniquement en mesure de supporter la charge qu’il a encaissée. Ou s’il n’a pas subi un phénomène de résonance au passage d’un ou plusieurs véhicules au mauvais endroit et au mauvais moment. Les enquêteurs se sont très vite posé la question. Mais pour les médias, hormis la vétusté, il n’y avait pas d’autres explications. Du moins les premiers jours.
Cet exemple me rappelle singulièrement une expérience… ferroviaire. Souvenez-vous… Il n’y a pas si longtemps, une série de dysfonctionnements paralysait le trafic. Si certains d’entre-eux résultaient immanquablement de la vétusté du réseau, sujet à la mode à l’époque, d’autres n’avaient rien à voir avec des défauts d'investissement. Un poste d’aiguillage qui brûle en banlieue, ce n’est pas forcément dû à la vétusté, pas plus qu’un bug lors du changement de version d’un logiciel à Montparnasse, une rupture de l’alimentation ERDF de la même gare, ou un câblage défectueux lors de la modernisation des installations.
Ces failles techniques diverses et variées, doublées d’une loi des séries très défavorables SNCF, j’avais bien tenté de les détailler avec précision aux médias… qui n’en avaient que faire. La question récurrente, qui était plutôt leur réponse revenait en boucle : « et la vétusté du réseau ? ». Seule la partie de mon intervention concernant ce sujet était diffusée. Même approche des médias sur les accidents aux passages à niveau : «les installations sont-elles sûres, les barrières étaient-elles baissées… ? ». Lorsque l’on rappelle que 98 % des accidents aux PN sont dus au non-respect du code de la route, cela n’intéresse personne. Plus grave, ce transfert quasi généralisé de la responsabilité individuelle vers une responsabilité collective constitue un encouragement à contourner les règles, parfois au péril de sa vie et de celle d’innocents.
Il reviendra aux enquêteurs de faire toute la lumière, et de manière exhaustive, sur l’accident de Mirepoix. Toutes les hypothèses devront être passées au peigne fin, y compris la vétusté et l'état réel du pont, la pertinence des normes et les conditions d’exercice des expertises. Un accident est souvent la conséquence de plusieurs facteurs dont chacun doit être pesé. Même si avec la circulation d’un ensemble de 50 tonnes sur un pont limité à 19, la cause de la rupture paraît évidente… Comme aux passages à niveau, et ailleurs, le simple respect du Code de la Route éviterait bien des malheurs. Encore faut-il oser le dire et en faire écho.