Pepy n'en peut plus

Publié le par Bernard Aubin

 

L’énarque a passé une trentaine d’années aux postes clés de la SNCF. Mais depuis quelque temps, une lassitude semble s’être installée auprès de celui qui avoue avoir « un pincement au cœur » à la veille de son départ de l’Entreprise. Deux mandats à la Présidence ont révélé tous les « talents » de ce dirigeant résolument adaptatif, féru de modernité, combatif, pugnace, au caractère bien trempé et souvent redouté. Mais la plus grande habileté de l’homme reste sans doute sa propension à surnager dans des milieux divers et hostiles : décideurs politiques de tous bords, gouvernements successifs, autorités organisatrices des transports, associations de transporteurs ou d’usagers, lobbyistes et influenceurs,  interlocuteurs internationaux, syndicats… et cheminots. N’est pas et ne sera pas Pepy qui veut. Pour preuve, le manque récurrent d’engouement pour son poste certes bien mieux rémunéré que le cheminot lambda mais beaucoup moins que celui d’un entrepreneur du CAC 40. Des décideurs bien mieux rémunérés, beaucoup moins sollicités et moins exposés. Son successeur est-il vraiment conscient de ce qui l’attend ?

Tantôt abordable, humble et proche, tantôt tranchant, autoritaire et blessant, Guillaume Pepy sait avant tout jouer de son charme pour arriver à ses fins. Il est le « bon client » des journalistes,  brille dans les médias et auprès de ses interlocuteurs pour le meilleur… et parfois aux pires moments de la vie ferroviaire. Au premier plan lors du lancement d’une nouvelle ligne ou d’un nouveau type de desserte, il affronte la lourdeur de sa tâche lorsque se multiplient dysfonctionnements, les retards de trains et les accidents. A l’époque « simple » Directeur Général Délégué, il se plaisait à surfer parfois sur Internet en direct avec les cheminots et les usagers… Preuve que l’individu aime communiquer et ne rechigne pas à  affronter les situations difficiles… quitte à aller lui-même au casse-pipe. Mais depuis l’arrivée de Macron Président, Pepy s’est soudain fait rare sur les écrans, cantonné en coulisses. Un fait révélateur qui ne doit rien au hasard. Et le signe annonciateur du sort qui allait lui être réservé. Tout trépasse autour de Macron, et Pepy n’y aura pas fait pas exception.

Il a longtemps tiré les ficelles, Guillaume, usant de ses soutiens bien placés et de ses nombreux réseaux d’influence. N’a-t-il pas à plusieurs reprises fait valider par les Gouvernements successifs  sa lettre de mission ou de grandes orientations rédigées par ses propres soins ? Cette fois il semble être tombé sur un os. Il a rapidement été relégué au second plan par un Gouvernement qui n’a vu en lui qu’un homme de transition, le temps de mettre en place ses pions. Grandeur et décadence pour un dirigeant habitué à une certaine autonomie, à prendre insidieusement le dessus sur des Hommes politiques à qui il laissait habilement croire le contraire. Et pourtant… Même disgracié, le haut fonctionnaire a décidé d’accomplir son mandat jusqu’au bout. C’est là que, stratégiquement, il n’a pas été bon. L’occasion lui était donnée de quitter l’Entreprise avec panache, lorsque quand le Premier ministre a littéralement insulté la SNCF et ses cheminots pour justifier la mise en œuvre de la dernière réforme ferroviaire… Il aurait été adulé par son personnel. A l’inverse, il a choisi de rester silencieux et de dégager en touche face à l’inadmissible. Pour les cheminots, c’en était trop.

Evoquons plus précisément le bilan au demeurant contrasté de 10 années de règne. Commençons par ce qui est positif : les comptes de la SNCF sont et ont été pour la plupart du temps dans le vert. Le trafic Voyageurs se porte bien, même très bien malgré l’émergence de nombreux modes de transports alternatifs et concurrents. Le train a conservé un place importante, tant dans les déplacements du quotidien que sur les parcours longue distance. Un pari qui était loin d’être gagné d’avance dans un environnement où l’écologie est si souvent évoquée et si peu pratiquée. La SNCF s’est également considérablement développée l’international, aussi par le biais de ses filiales. Elle se veut offensive face à la concurrence qui lui sera imposée sur son réseau, et qu’elle-même pratique déjà hors de nos frontières. Comme patron, Pepy n’a pas à rougir globalement de son bilan. D’autres auraient sans doute fait bien pire.

Hélas, le fret ferroviaire n’a pas bénéficié de la même dynamique. Abandonné par les politiques malgré les grand-messes style Grenelle et autres COP, le trafic marchandises a poursuivi son déclin avec à la clé la suppression de milliers d’emplois de cheminots et la fermeture de nombreux chantiers. L’arrêt de mort de Fret SNCF a été prononcé avec sa future filialisation. Le réseau classique a aussi, sous Pepy, poursuivi son inexorable dégradation. L’on pourra reprocher au Président de la SNCF sa discrétion sur ce sujet majeur, avant le dramatique accident de Brétigny. Si le président d’une entreprise publique, nommé par l’Etat, se doit de conserver le doigt sur la couture, il demeure des circonstances dans lesquelles un responsable a le devoir d’exposer à sa tutelle les réalités en face. Or, ce sujet majeur n’avait pas fait l’objet d’alertes autres que celles lancées dans le désert par les cheminots du terrain. On connaît la suite. Le retard accumulé dans la maintenance des infrastructures sera difficile à combler, malgré les efforts tardivement consentis.

 

Sur le plan social, Guillaume Pepy souhaitait se démarquer de la politique menée par son prédécesseur Louis Gallois. Ce dernier pratiquait un dialogue social fondé sur une cogestion occulte de l’Entreprise avec les syndicats majoritaires. En gros, faites un peu de bazar, une grève de temps en temps, mais laissez passer mes projets. En contrepartie, je ne serai pas ingrat avec vous. Ce type de pratique n’avait jamais attiré les faveurs de Guillaume Pepy. Sa stratégie personnelle ? Privilégier les échanges des syndicats d’accompagnement. Avec une  volonté affichée : que « la négociation devait rapporte plus que la grève ». Sauf que dans la réalité, ni la grève, ni la négociation ne rapporte plus grand-chose sous Pepy. Fin stratège, il a roulé tout le monde. Sous sa présidence, les dirigeants ont été allègrement incités à contourner la réglementation du personnel. Le règlement  à l’amiable la plupart des litiges individuels est devenu impossible. Ce qui jadis se traitait dans un couloir a systématiquement pris le chemin de tribunaux. Tout cela alors que les efforts demandés au personnel allaient croissant. Pas top !

 

Fini la  gestion paternaliste du personnel  qui faisait partie de l’ADN de l’Entreprise. Fini la recherche de solutions gagnant-gagnant où chacun y retrouvait son compte. Sous Pepy, place à une gestion des « ressources humaines » à l’américaine : accentuation  des pressions sur le personnel, multiplication et aggravation des sanctions, augmentation des réformes et licenciements, dégradation des conditions de travail avec pour corollaires une multiplication des dépressions voire pire. Exit la culture d’entreprise, sur le plan professionnel comme social. Autrefois, on était cheminot de père en fils. Aujourd’hui, les recruteurs de cadres donnent priorité aux candidats pétris d’ambition personnelle, bondissant d’une entreprise à une autre, plus habitués à manier le franglais et les tablettes qu’à maîtriser les techniques du rail. Et surtout à des individus dépourvus de culture ferroviaire et d’état d’âme qui se délectent à mettre en œuvre les pires réformes… L’entreprise est cassée de l’intérieur.  La productivité explose. Les salariés en font les frais sans rien en obtenir en retour. Les plus anciens se souviennent sans doute aussi d’un des « bébés » plébiscité par leur président : la « Gestion par Activités ». Ce mode d’organisation technocratique de l’Entreprise, visant à cloisonner les services alors que le ferroviaire exige au contraire la plus grande intégrité, lui valut  quelques semaines de grève.

 

Enfin, il reste le plus grave. Après 80 années de bons et loyaux services, la SNCF est appelée à disparaître. Guillaume Pepy a commencé sa carrière dans une entreprise unifiée, servie par une majorité de cheminots au Statut. Depuis, des dizaines de milliers d’emplois ont disparu. Des gares ont été fermées par centaines. Le Statut, c’est foutu. Le nivellement vers le bas des acquis sociaux des cheminots de la SNCF sur ceux du privé fut l’une des grandes ambitions de ce président. Il s’y est investi des années durant. Pas mieux concernant la responsabilité sociétale des entreprises : à la SNCF, la présence humaine au contact de la clientèle a été reléguée au second plan. Les guichets ferment tour à tour et les contrôleurs disparaissent. Des évolutions techniques et organisationnelles mal maîtrisées ou inadaptées ont grandement fragilisé le système ferroviaire comme le démontre la multiplication des incidents, accident et retards. Déjà divisée de l’intérieur, l’Entreprise est promise à un éclatement structurel en sociétés anonymes. C’est la fin.

 

Des tâches de plus en plus nombreuses sont externalisées au profit de filiales ou du secteur privé. Jadis solide comme un roc, l’Entreprise,  est comme beaucoup d’autres fragilisée par un même mal technocratique. Le château de carte risque de bientôt s’effondrer. Guillaume Pepy laissera derrière lui toute une génération d’anciens cheminots désabusés par des réformes contradictoires et des reculs sociaux sans précédent. Ce sont pourtant eux qui avaient contribué à la grandeur du rail français, parfois contre vents et marées. Dirigeants et salariés aux dents longues gangrènent progressivement une Entreprise portée à bout de bras par les derniers cheminots dans l’âme. Lorsque l’édifice se mettra à vaciller, les premiers l’abandonneront tout simplement. En interne, il n'y aura plus personne pour redresser au quotidien les fruits de leurs errements. Tout cela n’augure rien de bon. Ni à la SNCF, ni ailleurs. Combien d'entreprises sont désormais gérées de la même façon ? Guillaume Pepy a avoué ne pas avoir joué au train électrique dans sa jeunesse. Il aurait dû. Nous n’en serions peut-être pas là.

 

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