Le train du Vendredi Saint ou gare de Bouzonville, grandeur et décadence...
Mise en service en 1883, la Gare de Bouzonville a connu ses heures de gloire puis, comme beaucoup d’autres, une lente décadence. Ironie du sort, le « Train du Vendredi Saint » qui circulera ce 19 avril est devenu le seul qui dessert cette gare, alors que la vocation première de cette circulation exceptionnelle était justement d’en préserver l’avenir...
Retour en arrière...
Nous sommes dans les années 95. Des menaces planent sur le « guichet Voyageurs » de la Gare de Bouzonville. Par ailleurs, la SNCF commence à détourner les trains de fret en provenance et à destination des usines sidérurgiques franco-allemandes, par Forbach. Ces rames empruntaient la ligne à voie unique entre Bouzonville et Dillingen, principale raison d’exister de la gare. Il y avait donc urgence à intervenir. Malgré les signaux d’alarme déjà diffusés et relayés par la presse, la SNCF semblait promettre la gare à une lente agonie. Il fallait alors trouver une idée pour «sauver » cette gare, en lui assignant une nouvelle vocation...
3 mois pour mettre sur rail le « Train du Vendredi Saint »
Paradoxe : sur cette petite ligne reliant Dillingen à Bouzonville, plus d’une dizaine d’allers-retours quotidiens desservaient la partie allemande. Mais ces trains de voyageurs s’arrêtaient à la frontière, c’est-à-dire à 7 kilomètres de Bouzonville. Alors, pourquoi pas en prolonger quelques-uns au-delà, un jour où il y a beaucoup de monde, à l'occasion du marché du Vendredi Saint (15 000 visiteurs dont beaucoup d'allemands attendus chaque année). Une manière de braquer les projecteurs sur l’avenir de la gare, mais aussi plus globalement sur les dessertes voyageurs transfrontalières... Convaincre la SNCF d’organiser quelque chose, ne serait-ce qu'une journée, était peine perdue... Solliciter le soutien du Conseil Régional de Lorraine ? Pas mieux. Son président de l'époque, Gérard Longuet, n’avait jamais manifesté de sympathie particulière pour le rail... Alors, il restait une solution : convaincre les élus locaux.
Natif de Bouzonville, ancien agent de la gare, responsable syndical régional et national, je pris donc mon bâton de pèlerin pour convaincre les élus bouzonvillois du bien-fondé et des retombées probables de mon idée. Et il ne m’a pas fallu déployer beaucoup d’efforts... Après m’avoir fait exposer mon projet au Conseil Municipal, le Maire, Pierre Grandjean, me donna carte blanche pour bâtir le projet avec ses services... avec le soutien de son adjoint de l’époque, Denis Paysant et de la Ville allemande jumelée de Rehlingen-Siesburg... Ce qui semblait a priori facile, à savoir faire parcourir à un train 7 kilomètres supplémentaires en France, releva d’un véritable parcours du combattant : il nous a fallu 3 mois d’interventions pour finalement aboutir à la confirmation de la circulation de cette navette, une semaine seulement avant la date prévue... 5 allers-retours avaient été programmés.
avril 1998 : premier train sous une pluie battante...
Heure de vérité. Une pluie battante ne cessait de tomber et pour la fréquentation du train, c’était plutôt mal barré... D’autant plus que je n’avais pas ménagé les efforts de communication sur l’événement. Depuis la dernière guerre, ce train de voyageurs était le premier à franchir la frontière.
De nombreux journalistes étaient présents : Républicain Lorrain et autres journaux régionaux, France 3 Lorraine, La Vie du Rail, mais aussi une kyrielle de médias allemands : presse, télés régionales et nationales... Le Directeur SNCF TER Lorraine était venu assister à l’arrivée du premier train... Et ne cacha pas son désarroi à le voir... bondé de visiteurs venus, malgré cette météo très défavorable, visiter le marché de Bouzonville... La SNCF voyait d’un mauvais œil cette expérience ponctuelle, dont nous n’avions pas caché la volonté de développement géographique et dans le temps. Côté français comme allemand, les élus se sont réjouis de ce succès, qui dépassa toutes les espérances... Plus de 1500 voyageurs avaient emprunté cette relation éphémère.
Transformons l’essai...
Avec cette première circulation d’un train de Voyageurs, nous avions fait le pari de braquer les projecteurs sur la situation et l’avenir de la gare de Bouzonville. Une première étape franchie avec un franc succès. Mais il en fallait plus pour convaincre SNCF et politiques de maintenir cette gare en service, voire de développer ses missions.
Nous avons donc échafaudé, toujours en 1998, 4 hypothèses visant à améliorer la desserte « Voyageurs » de toute la zone et bien au-delà. Notre volonté était notamment de créer une nouvelle relation directe entre Sarrebruck et Luxembourg passant par Bouzonville. Des navettes qui auraient pu drainer une partie des travailleurs transfrontaliers se rendant de France en Sarre, mais aussi de France au Luxembourg. Autre mérite de cette desserte, elle irriguait au passage l’axe Bouzonville-Thionville, quelque peu délaissé par le train...
Les hypothèses établies, il ne nous restait plus qu’à convaincre un maximum de décideurs de les soutenir. Nous avons donc créé de toutes pièces un « Comité de desserte international » regroupant des personnalités en mesure de faire évoluer le projet : maires des villes des axes concernés, conseiller général (à titre d’information), SNCF,... Devant la publicité faite autour de notre initiative, le Conseil Régional de Lorraine concéda la participation d’un « observateur » à nos débats. Ce comité s’était réuni plusieurs fois, avant que le Conseil Régional ne se saisisse de l’idée et n’étende les « Comités de Desserte » à l’ensemble de la Lorraine. Nous avions cru qu’à cette occasion nos propositions seraient enfin étudiées mais, au final, l’initiative de la Région a noyé notre poisson... Était-ce le but ?
Une desserte maudite...
Le hasard fit que j’avais, à l’époque, mené de front 2 projets de développement ferroviaire. Le projet de réouverture de la gare de Hettange-Grande, tout d’abord. Lancé en 1994, il avait abouti à l’ouverture de la première « gare » lorraine depuis la seconde guerre mondiale. 6 années d’efforts furent nécessaires pour atteindre ce but. Le projet de relation ferroviaire Sarre-Lor-Lux ne connut pas le même succès, malgré le soutien indéfectible des Villes de Bouzonville et de Rehligen Siersburg.
Certes, notre projet commençait à faire du bruit. Au point que les pistes que nous avions développées commençaient à apparaître dans les documents officiels de la Régions Lorraine. Et ce, faut-il le rappeler, malgré un intérêt plutôt mitigé du Conseil Régional et de Gérard Longuet pour le développement du rail...
D’année en année, la circulation du Train du Vendredi Saint fut automatiquement renouvelée... Un train qui, d’ailleurs, ne bénéfice d’aucune subvention et s’autofinance dans la majorité des cas. Mais pour le reste, ce fut le statu quo. En mars 2004, changement de Majorité en Lorraine. L’arrivée de Jean-Pierre Masseret laissait enfin espérer un développement du projet. Il s'était mainte fois engagé à l'étudier, à y donner suite s'il de révélait pertinent. Et ce fut exactement l’inverse.
Malgré nos nombreuses interventions, le nouveau président de Région enterra le projet au point de le faire disparaître de tous les documents prospectifs du Conseil Régional. Pire, c’est ce même Président qui décida de transférer sur route en 2016 les derniers trains qui reliaient Thionville à Bouzonville.
Voir cette vidéo, où l'agacement de Jean-Pierre Masseret confronté à notre projet, est notoire :
https://www.dailymotion.com/video/x5jv2n
La gare de Bouzonville ferme en 2018
La principale vocation de cette gare était, rappelons-le, l’acheminement de trains de fret en provenance et en direction des aciéries allemandes. Sauf que la DB et la SNCF se sont évertués à détourner progressivement l’ensemble de ces trafics via Forbach. Un paradoxe, alors que l’acheminement via Bouzonville est le plus direct et que la partie de voie entre Bouzonville et la frontière a été entièrement rénovée depuis moins de 10 ans... Les anciens rails portaient encore les marques de balles tirées durant le dernier conflit mondial... Mais à la SNCF, une rénovation est souvent synonyme de fermeture proche.
Privé de ses trains de fret depuis plus de 2 ans, le PRS (poste d’aiguillage) n’est plus occupé qu’à titre exceptionnel... Le seul cheminot occupant la gare au quotidien fut, en dernier, l’agent commercial du guichet... En 2018, son poste fit les frais de la politique de suppression de la présence humaine lancée par la nouvelle Région Grand-Est. Une région dont il n’y a rien à attendre, sauf peut-être à voir progressivement les trains privés ou étrangers remplacer ceux de la SNCF... Dans cette situation, il est facile de comprendre qu’un cheminot de la SNCF ne s’investira plus dans un projet qui, s’il se réalisait finalement, serait opéré par des concurrents...
Une grave menace pèse sur la ligne
Inutilisée hormis le Vendredi Saint, cette petite portion de ligne de 7 km reliant la France à l’Allemagne est désormais purement et simplement menacée de démantèlement, en dépit de tout bon sens... Outre-Rhin, des associations s’agitent pour préserver ce petit tronçon et reprennent à leur compte l’idée de desserte Sarre-Lor-Lux que nous avions développée il y a 20 ans. Tant mieux...
Au final, même si les trains privés prenaient en charge la desserte, l’opération maintiendrait la Gare de Bouzonville et peut-être quand-même un minimum de personnel SNCF...
Des projets qui tardent à se concrétiser
Plusieurs projets ont vu le jour dans la même zone, depuis 2017. Un projet de plateforme multimodale à Uberherrn, qui utiliserait un tronçon de voie désaffectée entre la frontière et Hargarten. A noter que l’une de nos hypothèses de desserte voyageur empruntait cette même partie de voie. Problème : on n’en entend plus parler depuis 2 ans...
Autre projet, la reprise des anciens locaux de la Röchling, à Bouzonville, par une entreprise qui souhaiterait recourir au train... Mais là aussi, il semble que les embûches placées sur le rail par la DB et la SNCF freinent le projet...
Le pire est à craindre, car une fois la partie de voie vers l’Allemagne démolie, ce serait définitivement fini.
En conclusion...
La Gare de Bouzonville a connu ses heures de gloires. Des millions de tonnes de marchandises y ont transité : produits sidérurgiques, minerai, chaux, tôles, charbon, fonte en fusion, et aussi tout-venant. Une partie de ces trafics a disparu. Une autre a été détournée par Forbach.
Sur le plan « Voyageurs », cela fait des décennies que l’on nous rebat les oreilles avec les vertus de la grande région « Sarre-Lor-Lux » et des transports ferroviaires transfrontaliers. Mais au-delà des incantations en faveur des transports en commun, les pouvoirs politiques qui se sont tour à tour succédés dans l'Est ont tout mis en œuvre pour faire capoter nos projets... Triste unanimité.
Parfois, il devient difficile d’espérer... Et le Vendredi Saint, il ne nous restera plus qu’à prier...

première circulation du train du Vendredi Saint, 10 avril 1998

Horaires des trains