SNCF, Brétigny : de nouvelles « révélations » qui pointent l’évidence

Publié le par Bernard Aubin

 

L’état de délabrement de la section de voie empruntée par le train Corail qui avait déraillé en juillet 2013 n’était plus à prouver, tant de nombreux rapports l’ont confirmé depuis. Cet accident mettait en exergue un état de vieillissement préoccupant du « réseau classique », victime de sous-investissements chroniques. Un accident devait tôt ou tard arriver sur le réseaU. Ce fut à Brétigny. Ce n’est pas faute, pour les cheminots de l’Equipement, d’avoir maintes fois alerté leur hiérarchie ici ou ailleurs, dans tel ou tel CHSCT. Sauf qu’à la SNCF, la recherche de l’efficience prime depuis de longues années sur l’objectif de qualité, et, au final, de sécurité : il faut faire le mieux possible avec les moyens du bord… que Les moyens, notamment humains, baissent année après années. Entre 2000 et 2500 cheminots de moins tous les ans, ça laisse d’autant plus de trace que, proportionnellement, l’impact de ces suppressions d’emplois est grandissant.

 

Le Parisien fait été d’un document révélant des  « lacunes générales de la société en matière d’entretien des voies franciliennes qui auraient grandement contribué à précipiter le drame » ainsi qu'un mail datant du 14 avril 2013 du directeur de l’infrastructure Île-de-France adressé à son directeur financier. Le premier indique la nécessite de recruter, pour 2014, au moins 150 agents de maintenance dans le cadre d’un projet baptisé «grand Paris dès aujourd’hui». « Nous avons identifié un gros déficit d’agents, évalué à plus de 200 personnes » sur Paris rive gauche (zone dont dépend Brétigny-sur-Orge) précise-t-il. Le quotidien souligne aussi la baisse des effectifs de maintenance : 3 % par an, et révèle les « alertes » exprimées par l’encadrement en 2012 et 2013 sur un manque de formateur obligeant la direction à entrevoir une gestion de cette « crise ». A part cela, et malgré des carences qui sautaient aux yeux, la Justice n’avait  pointé que la responsabilité d’un « lampiste ». Un pauvre dirigeant de proximité coincé entre le marteau et l’enclume, et vraisemblablement pas très bien formé, et situé tout en bout de chaîne…

 

Que dire de ces nouvelles « révélations » sur cette catastrophe ? Tout bonnement qu’elles pointent une évidence. Depuis des décennies, l’Etat ne joue pas son rôle d’unique « actionnaire » de la SNCF, se défausse dès qu’il s’agit d’investir dans la maintenance du réseau, et compte sur le talent des dirigeants qu’elle nomme à la t^te de l'Entreprise Publique pour habiller la misère. Que de paradoxes, que d’évidences qui, curieusement, se doivent d’être démontrées alors qu’elles sautent aux yeux. La SNCF aligne les bénéfices année après année, et pourtant l’état de son réseau classique s’est à peine stabilisé depuis l’accident de Brétigny… Des milliers de postes ont été supprimés à la maintenance, dans un contexte qui aurait justement dû mener à des embauches massivesJusqu’à l’accident de Brétigny, les crédits débloqués pour la maintenance et la remise à niveau du réseau étaient largement insuffisants, comme cela avait été souligné dès 2005 par un audit externe, puis confirmé en 2012, sans que cela n’émeuve quiconque au niveau de l’Etat. Et pendant tout ce temps, la SNCF cachait cette misère que l’on ne saurait voir.

Il est triste qu’apparaisse aujourd'hui comme un scoop une évidence qui sautait aux yeux de tous. Et il est bon de s’interroger la place grandissante des apparences dans notre société, au détriment des évidences et du bon sens élémentaire.

 

Article écrit le 15 septembre 2014 sur mon blog "Le Hérisson du Rail" hébergé à l'époque pas le nouvelobs :

 

« Priorité à la sécurité ! » Sept morts en 2013 lors du déraillement de Brétigny, des blessés graves lors du rattrapage de Denguin, cet été… et plusieurs incidents plus ou moins passés sous silence qui auraient pu conduire à des catastrophes… De quoi sans doute émouvoir les usagers, l’opinion publique, les cheminots, la direction de la SNCF et les décideurs politiques.

 

C’est à la veille de la mise en examen des responsables de la SNCF et de RFF, vraisemblablement pour « homicides et blessures involontaires par maladresse, imprudence, inattention, négligence ou manquement à une obligation de prudence ou de sécurité imposée par la loi» que se multiplient les engagements et actes de foi en faveur de la « sécurité des circulations ».

 

Le Secrétaire d’Etat au Transport a affirmé que la "sécurité n’est pas un acquis". RFF et la SNCF devront mettre en œuvre en priorité un "plan en faveur de la sécurité" et de l ' "l’entretien des infrastructures". Une annonce qui survient après la mise en œuvre d’une réforme officialisant le désengagement de l’Etat de ses responsabilités financières en matière de développement et de maintenance du réseau. Cherchez l' erreur !

 

Heureusement, la SNCF n’a pas attendu la veille de sa mise en examen pour annoncer des mesures urgentes, telles le plan Vigirail, quelques jours après l’accident de Brétigny. Plus récemment, à l’occasion de la refonte de son organigramme, l’Entreprise a créé un poste d’ « inspecteur général de la sécurité » confié au … Général Frédéric Castay, ancien responsable de la sécurité nucléaire. Mais au delà des effets d’annonce, il y aura lieu de mesurer concrètement la volonté de tous ces décideurs de bouleverser l’ordre des choses.

 

La meilleure volonté ne suffira pour autant guère à redresser l’état d’un réseau vieillissant, facteur de nombreux dysfonctionnements et problèmes connus de longue date. Les cheminots du terrain et leurs représentants n’avaient pas manqué de tirer de multiples signaux d’alarme face à la dégradation de leur outil de production. La gestion de la sécurité des circulations, éclatée dans un premier au sein même de la SNCF dans le cadre de la gestion par Activités, se trouve désormais confiée à des organismes et opérateurs externes, nombreux et divers, au détriment de son efficacité.

 

L’Etat du réseau avait d’ailleurs fait l’objet de deux audits externes, le second révélant en 2012 que les investissements consentis demeuraient insuffisants au regard du retard accumulé dans la remise à niveau du réseau : « l’effort substantiel investi n’a pas encore permis d’inverser la tendance au vieillissement que les auditeurs de l’époque avaient mise en évidence ». Et pour preuve, le rapport d’expertise judiciaire sur l’accident de Brétigny pointait « un état de délabrement jamais vu ».

 

Quant à la gestion même de la sécurité, elle souffre et elle souffrira encore longtemps de son éclatement auprès d’entités nombreuses et diverses, en application d’une réglementation européenne contraire au bon sens élémentaire, mais à ce jour insurmontable. Le rapprochement des services de SNCF Infra et de RFF au sein d’un même établissement, dans le cadre de la réforme du système ferroviaire, ne pourra constituer à lui seul une parade à tous les maux. Loin de là d’ailleurs.

 

Résumons : l’état catastrophique du réseau classique était de notoriété publique. Du cheminot de terrain jusqu’au plus haut dirigeant de l’entreprise et de l’Etat, tout le monde était au courant. L’excès de confiance dans la technologie ferroviaire a sans doute conduit à l’imprudence. C’est ce que l’on appelle le risque calculé, ou, pour reprendre un terme très en vogue, l’ « efficience » d’un système ou d’une organisation.

 

L’avenir de la sécurité, l’un des fondamentaux du transport ferroviaire, ne repose ni sur les bonnes intentions, ni sur les actes de contrition. Il repose sur des investissements et sur des organisations intégrées. Des moyens financiers difficiles à obtenir en cette période de crise, autant qu’un changement de mentalité salutaire…

 

 

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C
Bien vu Bernard, j'attendais ton retour sur ton bog.Au plaisir de lire d'autres articles
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