Millas : « je veux savoir ce qu'il s'est passé ce jour là ». Nous aussi !

Le reportage diffusé récemment sur la catastrophe ferroviaire de Millas se conclut par la phrase de la mère d'une des victimes : « je veux savoir ce qu'il s'est passé ce jour là ». Une requête des plus légitimes exprimée par quelqu'un qui souffre depuis un an. Souvenez-vous : ce TER qui percuta un car scolaire immobilisé sur les voies près de Millas, la vision apocalyptique d'un véhicule coupé en deux, et 6 petits disparus pleurés par leurs parents et proches.
Quelques heures seulement après cette terrible catastrophe se posait et se répétait Inlassablement la même question : les barrières étaient elles levées au baissées avant le passage du train ? Le reportage de W9, diffusé hier, pose d'emblée cette même question, évacuant durant plus d'une heure trente l'interrogation essentielle : les feux rouges clignotants étaient-ils allumés avant l'arrivée du train ? Faut-il le rappeler, eux-seuls interdisent le franchissement d'un passage à niveau, quelle que soit la présence et la position des barrières. Si oui, aucun véhicule n'a le droit de franchir un passage à niveau. Un conducteur qui brave cette interdiction est responsable de ses actes et doit les assumer.
La même mère de famille évoquait un peu plus tôt, dans la même émission, la question de la responsabilité : « faut être logique, c'est dans le collectif !». Eh bien non, une telle approche n'est ni logique, ni juste. Si la conductrice du car a délibérément franchi le passage à niveau alors que les installations le lui interdisaient, elle est responsable de la faute et doit l'assumer. Si elle n'était pas en possession de toutes ses facultés au moment du drame, cette piste est à explorer. S'il y a eu dysfonctionnement des feux, c'est alors la responsabilité de la SNCF qui est pleinement engagée. Le « collectif » n'est pour rien la dedans.
Il valait mieux être bien assis sur sa chaise lors lorsqu'un journaliste expliqua que le TER étant en retard ce jour là. Selon lui, la conductrice n'avait pas l'habitude de croiser un train à cette heure : « le train ne devait pas être là !». Ben voyons ! Jusqu'à preuve du contraire, ce train circule quand-même sur une voie ferrée qu'il n'est pas le seul à emprunter. Les horaires des circulations ferroviaires, comme routière d'ailleurs, sont variables, et que c'est justement pour cela que des feux rouges clignotants et autres barrières protègent les passages à niveau à tout moment de la journée. Sans quoi une simple horloge implantée avant les rails aurait suffit. Le car n'était pas à l'heure non plus, selon le reportage. Sa conductrice avait attendu un enfant qui s'était fait gronder par son institutrice. Si l'enfant avait été sage, le drame n'aurait pas eu lieu, selon la même approche ! Doit-on le mettre en examen ? Soyons sérieux !
L'avocat de la conductrice du car joue son rôle, évoquant lui aussi la position des barrières. C'est à croire qu'aucun des intervenants n'a passé son permis de conduire... Il évoque une SNCF dédouanée de ses responsabilités, ou qui se plaît à les évacuer. Bien sûr, la SNCF n'est pas parfaite et rechigne dans certains cas à avouer ses torts, on ne peut le démentir. Cependant, si aucune faute de sa part n'a été établie par les experts, si son personnel a appliqué la réglementation de sécurité à la lettre, l'Entreprise n'a pas non-plus vocation à endosser des responsabilités qui n'ont pas établies à son encontre, fussent-elles minimes.
Le reportage de W9 présente deux "scoops", ou plutôt deux informations mises en scène comme tels. Le premier : une « stagiaire » aurait conduit le train... A l'enquête de confirmer ou d'infirmer cette affirmation. En principe, un « stagiaire » n'a pas à se trouver à un tel poste ! Il s'agirait sans doute plutôt d'une élève-conducteur, c'est à dire un agent qui suit un cursus de formation de conducteur. Cette salariée bénéficie, dans ce cadre, d'une formation de près d'un an, alternant formations théoriques et pratiques. Elle est évidemment autorisée à prendre les manettes, toujours sous la responsabilité d'un conducteur aguerri.
Où se trouvait ce conducteur au moment du drame ? Dans la cabine de conduite ou à proximité ? Il lui appartient dans tout les cas d'être en mesure de suppléer aux éventuelles carences de la personne formée et de lui délivrer toute instruction utile. En l'espèce, la cheminote en formation a appliqué à la lettre la procédure à mettre en œuvre en cas de présence d'un obstacle sur la voie. Peut-être même avec un zèle particulier. Après avoir désespérément fait usage du sifflet de son train, et constaté que le car restait immobile dans la trajectoire de son train, elle a actionné le freinage d'urgence... et est restée présente en cabine jusqu'à l'impact au risque de sa vie. Personne n'a songé à s'inquiéter du traumatisme qu'elle a dû subir !
Précisons un nouvelle fois que si le code de la route donne priorité aux trains sur les véhicules routiers, ce n'est pas pour faire plaisir à la SNCF. C'est tout simplement parce qu'un train ne s'arrête pas aussi rapidement qu'une voiture ou qu'un tram. Quand bien même l'élève-conducteur aurait déclenché le freinage d'urgence quelques secondes plus tôt, le résultat eut été identique. Rappelons aussi que le conducteur d'un train circule en fonction de prescriptions réglementaires qui définissent la vitesse du train et conformément aux indications données par les signaux implantés le long des voies. Ils n'ont pas, contrairement aux automobilistes, à tenir compte d'autres éléments tels l'état des voies ferrées, le verglas, la proximité de passage à niveau... pour régler leur vitesse. Mais bien évidemment, ils observent la voie devant eux et déclenchent un freinage d'urgence en cas de danger imminent. C'est ce qui a été fait et bien fait.
VInt ensuite le témoignage d'un passager, qui instille un doute sur l'effectivité d'un freinage d'urgence. Un intervenant déclare : « un freinage d'urgence, çà se ressent ». Et certains n'auraient rien remarqué de particulier. Eh bien non ! Le freinage d'urgence d'un train n'est souvent perçu que par les initiés. Parce qu'il survient brusquement, que le ralentissement du train est significatif mais surtout au moment de l'arrêt du train. A bord de nos voitures, nous relâchons progressivement et par réflexe la pression sur le frein avant l'arrêt. A défaut, nous sentirions un à-coup au moment de l'arrêt. C'est le même type d'à-coup dont les voyageurs auraient pu témoigner – ou non – si le train n'avait pas percuté le car avant d'être stoppé par les freins. Quand à la puissance de freinage, elle reste très relative même en cas d'urgence. Ça freine un peu plus fort et surtout un peu plus vite qu'en temps normal, mais sans aucune mesure avec, par exemple, un tram qui pile sur quelques mètres. En résumé, seul un initié peut distinguer un freinage d'urgence d'un coup de patin un peu viril tel qu'il peut être donné en marche normale.
Pour finir, le reportage effectue un amalgame entre deux autres accidents de PN survenus dans des circonstances totalement différentes. Un train Corail, tout d'abord, qui percute la voiture de deux retraités à 150 km/h et les tue tous les deux. Les installations du PN fonctionnaient-elles normalement ? Les retraités n'ont-ils pas respecté la signalisation ? Il est établi que contrairement à certaines supputations, aucun d'eux n'avait exprimé de tendance suicidaire. Leur fils, lui, entrevoir un dysfonctionnement des installations. A ce stade, la Justice n'a pas incriminé la SNCF. Pourtant, un rapport mettait en exergue des « dysfonctionnements inexpliqués » de ce PN 159 avant l'accident. Aux experts de pousser au mieux leurs investigations pour s'approcher de la vérité.
Autre exemple, encore différent. Un accident pour lequel la SNCF a été condamnée mais à fait appel. Il s'agit cette fois d'un TER, assuré par du matériel X 7500, qui a percuté un véhicule sur un PN. Cette fois, la Justice auraient conclu au mauvais fonctionnement des installations. Une piste crédible, dans la mesure où l'autorail incriminé souffre d'un grave défaut de conception qui s'est maintes fois illustrés dès sa mise en circulation. Ce matériel a du mal a assurer le circuit de voie. En clair, le essieux d'un train court-circuitent les deux fils de rails sur les sections de voie qu'ils empruntent. De nombreuses installations exploitent cette information dont les postes d'aiguillages, les systèmes d'espacement des trains (cantonnement),... et les PN. Si le contact se réalise mal ou s'interrompt (dé-shuntage), les installations en déduisent qu'aucun train ne circule sur la partie de voie. Du coup, les feux et barrières des PN peuvent être affectés. Les problèmes des X 7500 ont fait l'objet de multiples signalements et rapports de CHSCT. La SNCF en a tardivement admis la réalité. Des mesures spécifiques (circulation interdite un unité simple) ont été mises en oeuvre. Un cas qui démontre que même à la marge, le « raté de fermeture » d'un PN, même marginal, reste possible.
En conclusion, laissons les experts et la Justice tirer leurs conclusions. La vérité n'a pas besoin de sensationnel. Elle n'a pas non-plus vocation à être diluée, pas plus que de boucs émissaires. Aux responsables, une fois identifiés, d'assumer les faits et leurs conséquences, et de ne pas se défausser une nouvelle fois sur la « collectivité ». Ce serait trop facile, injuste, et inciterait à de nouveaux comportements irresponsables.
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