SNCF : élections professionnelles, pas de bouleversement majeur à l'horizon

Publié le par Bernard Aubin

 

Les élections professionnelles SNCF se déroulent en ce moment. Les salariés s'exprimeront pour la première fois exclusivement par vote électronique durant toute la plage d'ouverture des "urnes virtuelles". Là n'est pas la seule nouveauté. Conformément à la restructuration des instances du personnel mise en œuvre par le Gouvernement, les DP, CHSCT, CE disparaissent au bénéfice de nouvelles instances regroupant l'ensemble des prérogatives : les Comités Sociaux et Economiques. Ainsi, près d'un millier d'instances de proximité diverses seront supprimées au bénéfice de 33 CSE, éloignés des réalités du terrain et des attentes quotidiennes du personnel. Selon certains calculs, l'application stricte de la loi conduirait à la disparition de 2200 équivalents temps-plein de représentants du personnel. Les cheminots seraient ainsi moins bien représentés au sein de l'entreprise publique que leurs confrères des entreprises ferroviaires privées.

 

Pour atténuer un peu cette coupe sombre, et faire amende honorable, la Direction mettra en place des « représentants de proximité ». Ces interlocuteurs de terrain ne seront pas élus, mais désignés par les syndicats au regard de leur représentation dans les CSE. Les « négociations » se sont très mal passées. Les syndicats reprochent notamment à la Direction de leur accorder un nombre insuffisant de "délégués". Rappelons que la réforme des instances, lancée par ce Gouvernement résolument anti-social,  vise avant tout à affaiblir syndicats et salariés. Pour la qualité du dialogue social, on repassera. La SNCF, trop heureuse de lui emboîter le pas, ne fera pas de zèle pour son personnel. Avant même la fin des discussions, la SNCF travaillait déjà à la constitution d'une cellule de reclassement des permanents syndicaux, ce qui présage un nombre important de retours en service. Suite à une loi CGT-CFDT-MEDEF-CGPME-Sarkozy de 2008, les syndicats ne dépassant pas le seuil des 10 % avaient déjà été astreints à un régime strict, exclus des réunions nationales avec l'Entreprise et écartés des Interfédérales par leurs confrères. Cette fois, c'est l'ensemble des syndicats qui sera impacté comme jamais. Soumis à une double peine, les organisations les plus modestes n'auront guère à se réjouir de  ce retour de manivelle. Le pluralisme syndical au sein de la SNCF risque d'être définitivement compromis...

 

Autre originalité de ces élections, c'est qu'elles surviennent au lendemain d'une réforme catastrophique pour la SNCF et son personnel. Sur la forme, les cheminots ont été attaqués de manière odieuse qui n'a connu aucun précédent. Les propos du Gouvernement à l'encontre d'une Entreprise délaissée des années durant par les Pouvoirs successifs, victime d'un dette qui n'est pas la sienne, de la technocratie et du libéralisme débridé, visaient à rendre les cheminots responsables de tous les maux du rail. s'ensuivent des "remèdes"  sans lien avec la pathologie : suppression du Statut pour les nouveaux embauchés, transformation des EPIC en SA, suppression des petites lignes (dont la responsabilité politique sera confiée aux régions), filialisation de Fret SNCF... Pour la dette, on verra demain... peut-être ! 33 jours de grève n'y ont rien changé. Aucune négociation n'a eu lieu... seules quelques « consultations » ont été menées sur des points subsidiaires avec certains syndicats, de quoi "amuser" la galerie. La méthode Macron dans toute sa splendeur. Nous y reviendrons.

 

L'opinion publique n'a guère défendu le dernier bastion social français. Un rempart que le Gouvernement s'est fait plaisir à démolir pour donner libre cours aux réformes anti-sociales à venir. Certains anti-cheminots riront moins lorsque leur tour viendra, mais il sera trop tard ! La Direction, pour sa part, a pris fait et cause pour cette réforme, dont elle a sans doute inspiré quelques pistes. Le lien avec son personnel est brisé pour longtemps. L'on se rappelle de la frustration des dirigeants SNCF au lendemain du statu quo imposé par François Hollande lors de la réforme de 2014. L'ancien Président, craignant pour sa Loi Travail très controversée, leur avait intimé l'ordre de ne pas trop écorner la réglementation de travail, après la disparition programmée du RH 0077. Aujourd'hui, l'occasion est trop belle. Il faut rattraper le temps perdu. Guillaume Pepy n'a pas attendu que les braises refroidissent pour annoncer un nouveau « pacte social » qui écornera encore un peu ce qu'il reste du Statut. Sans doute un nouveau nivellement vers le bas "par soucis d'équité", comme aiment à se justifier politiques et dirigeants. Quant au Gouvernement, c'est parti pour une réforme des retraites en 2019... Autant ne se priver de rien, la voie est libre... Mais tant va la cruche à l'eau...

 

A coup sûr, le paysage syndical ne se trouvera pas profondément modifié par ce scrutin. Premièrement, parce que les positions soutenues par les syndicats lors de la dernière grève ne prêtent pas vraiment à des attaques de fond ou à une réelle concurrence... Les syndicats contestataires... ont contesté... Normal. Les syndicats d'accompagnement... n'ont pas accompagné... Ce qui ne fait pas vraiment l'affaire des premiers. Les syndicats "représentatifs" ont joué la division... comme depuis 10 ans... Pas de fait saillant, pas de coin à enfoncer, pour résumer.

 

Revenons-en aux syndicats d'accompagnement... En 2014, il avaient ouvertement soutenu la réforme menée à l'époque. La SNCF avait pourtant été éclatée en trois entités, sous prétexte de réunification du réseau.... Soit. De fait, les mêmes avaient implicitement soutenu la remise à plat de la réglementation du travail... dont les conséquences ont heureusement et par chance été édulcorées dans les conditions explicitées plus haut. Le sort leur a une nouvelle fois souri en 2018. Ils sont entrés dans le conflit pour la forme, pensant en sortir très vite, grâce au petit coup de pouce du Gouvernement ou de la Direction qui tombe toujours à point nommé.

 

Pas de chance cette fois. Sûr de son fait, Macron estimait qu'il été en capacité de se passer des accompagnants de toujours. Sa « victoire » n'en serait que plus grande. Inutile, donc, de répondre en plein conflit aux appels du pied du secrétaire général de cette grande confédération, pourtant prompte à retourner sa veste du bon côté. Rien n'a non plus été lâché à la seconde organisation syndicale de la SNCF, pourtant si proche de la Direction. Émouvantes aux larmes, ces prises de paroles des représentants SNCF de ces deux syndicats face aux médias, ces pseudo « avancées » obtenues, alors que rien ne bougeait... La porte de sortie tant attendue ayant fait long feu, les syndicats d'accompagnement ont été contraints d’accompagner... le conflit presque jusqu'au bout. Ce qui à leur corps défendant les a sans doute sauvés ! Sur les 95 % des cheminots qui s'étaient exprimés contre la réforme, bon nombre d'entre-eux leur auraient taillé des croupières s'ils étaient trop tôt sortis de la contestation. Sans le vouloir, Macron a sauvé les syndicats qu'il a refusé d'aider...

 

Les courbes démontrent que les résultats des syndicats contestataires s'érodent d'année en année, au profit des syndicats d'accompagnement que certains qualifient à tort de « réformistes »... Évolution des mentalités, sans doute, intérêt commun qui se délite au profit de d'intérêts personnels immédiats et trompeurs, montée de l'indifférence tout simplement... Autant de causes qui ont, au fil des ans, affaibli l'équilibre des forces au détriment des salariés. Si ce qui était impensable hier est devenu possible aujourd'hui, c'est avant tout parce que le résultat dans les urnes l'a permis. Si la tendance connue depuis des années devait se confirmer aux prochaines élections, les cheminots auraient vraiment du souci à se faire. Leur direction n'attend que ça pour mettre les bouchées doubles, avec le soutien de ses complices.

 

La plupart des salariés ignorent la portée de leurs votes. Un simple scrutin pourrait cependant changer bien des choses. Macron, un Président si contesté  aujourd'hui, est lui aussi issu des urnes...  Jupiter pour lui-même, Attila pour les salariés, le Président de la République n'est pas l'incarnation du Diable mais le résultat d'une expression démocratique que d'aucuns semblent oublier aujourd'hui. Les petits « Macron » sont partout, aux manettes des entreprises, au sein de la SNCF. Pas forcément des "politiques", mais des gens qui, à l'image du Président, n'entrevoient l'avenir qu'à travers la satisfaction de leur ambition personnelle. Leur multiplication explique aussi les résultats électoraux. Rien ne permet donc d'affirmer que le paysage syndical évoluera de manière significative au lendemain des élections professionnelles... sauf à ce que les salariés prennent enfin conscience des conséquences de leurs votes.

 

Dans cette affaire, les syndicats « non-représentatifs » jouent leur va-tout. Déjà amputés par la loi de 2008, ils sont soumis à un nouveau handicap : la réforme des IRP. La création de CSE nationaux, ou à large périmètre, occasionnera un lissage mathématique de leur représentativité, ce qui pourrait leur coûter cher. Des syndicats, aujourd'hui fortement représentés sur certaines régions, pourraient voir leurs performances s'éroder par l'ajout de périmètres qui leurs sont défavorables. Concrètement, une performance de 20 % sur un périmètre local pouvait offrir des moyens, voire même un représentativité locale. Celles-ci risquent de disparaître après la fusion avec un zone où le même syndicat ne récoltait que 5 % des suffrages. De surcroît, la représentation de proximité serait limitée du fait des conditions de nomination des nouveaux représentants de proximité par des membres d'un CSE pas forcément enclins à favoriser les organisations plus modestes.

 

Non, il n'y aura pas de profond bouleversement syndical à la SNCF au lendemain des élections... sauf prise de conscience salutaire de la part des cheminots. Ce serait là une première ! A cet instant, tout reste possible. Quelques dixièmes de points offriraient à des organisations aujourd'hui « non-représentatives » de le devenir demain. Quelques dixièmes de points  en leur faveur permettraient de rétablir au sein de la SNCF le pluralisme syndical dont elle manque depuis 10 ans déjà. Un « pas grand chose » qui inciterait aussi les autres syndicats à renouer avec une unité si souvent affichée, et jamais plus pratiquée depuis une décennie, même face aux enjeux du dernier conflit...

 

Comme pour la Présidentielle, un vote n'est jamais anodin. Macron et ses complices ne manqueront pas de payer très tôt et très cher ce qu'ils ont commis. Le tsunami n'est plus très loin, les sanctions vont tomber. Mais le mal qu'ils ont fait, ce qu'ils ont détruits, auront des conséquences pour longtemps. Raison de plus pour rétablir l'équilibre des forces en faveur des salariés. A défaut, il sera inutile de se plaindre... il faudra accompagner, de gré ou de force, et surtout assumer !

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