SNCF : c'était mieux avant ? Ou les contraintes qui s'accumulent sur les Voyageurs

Publié le par Bernard Aubin

 

Arrivée du "Yield Management"

1993 : Socrate débarque à la SNCF. Non le philosophe grec n'est pas ressuscité. Il s'agit du tout nouveau logiciel gérant la confection des billets de trains et des réservations sur le territoire français et même européen. A la SNCF, ni philosophie, ni philanthropie. Fini, donc, le bon vieux tarif kilométrique, qui faisait tout simplement varier le prix du billet en fonction de la distance parcourue et permettait d'évaluer bien en amont le prix de ses déplacements. Vive le Yield-Management, cet outil qui fait varier les prix varient en fonction des trains, des dates, des horaires, des taux de remplissage... et de l'âge du conducteur ! L'aviation avait bien compris les intérêts, financiers, de cette tarification aussi variable qu'imprévisible. La SNCF lui a emboîté le pas, achetant et adaptant non sans difficulté le logiciel de l'aérien « Sabre » au ferroviaire.

La SNCF sur le Net

D'autres évolutions majeures ont eu lieu depuis. A la clé, la dématérialisation progressive des titres de transport avec la création d'un site Internet rebaptisé en 2000 voyages-sncf.com puis oui.sncf en 2016. Ces changements ont sans doute apporté une dose de confort à des nombreux usagers, les dispensant de se rendre à la gare la plus proche pour acheter leurs titres de transport. Mais ces politiques, mises en œuvres depuis une vingtaine d'années, comportent de nombreux revers.

L'évolution de la tarification

Variable selon de nombreux paramètres, les règles de tarification peuvent offrir le meilleur comme le pire. Impensable, il fut un temps, de faire 350 km en TGV pour 25 euros !  Aujourd'hui, c'est possible, mais dans les conditions de la troisième classe (TGV Ouigo) remise au goût du jour par la SNCF... et lorsque le client s'y est pris à temps pour réserver à ce prix.

A l'inverse, lors des  périodes de pointe, les prix des billets explose. Et pas que lors des grands départs, d'ailleurs. Au global, la SNCF s'en sort pas mal... Pas forcément l'usager !

La prévisibilité

L'outil informatique offre une souplesse d’exploration du réseau dont la SNCF use et abuse. Le guichetier qui, jadis, vendait une réservation 3 mois à l'avance pouvait assurer à 99 % que le train roulerait. Aujourd'hui, la nouvelle politique de maintenance des infrastructures requiert des fermetures de lignes de plusieurs jours voire plusieurs mois. Si bien que des trains initialement programmés connaissent des allongement d'horaires, sont détournés, remplacés par des bus, voire supprimés. Certains, dont la circulation était autrefois garantie plusieurs mois à l'avance, sont mis en marche et en vente que quelques jours avant leur date de circulation. Les derniers trains de nuit avaient connu de tels déboire. Ainsi malmenés, ils ont été logiquement désertés, puis supprimés. Le « modernisme » a donc privé le client de toute visibilité à moyen terme sur la programmation de ses déplacement. Et la SNCF n 'hésite pas à l'inviter à consulter Internet la veille pur des déplacements le lendemain !

Les contraintes

Avant, tout était simple. Mais comme le dit la pub, ça, c'était avant. Il est nécessaire de remonter dans le temps pour prendre conscience des contraintes qui se sont accumulées et pourrissent les déplacements des voyageurs.

Hier : le voyageur prenait connaissance des horaires à la gare la plus proche et y achetait son billet. Avec ce titre de transport, le client pouvait monter indifféremment à bord de n'importe quel train et dans n'importe quel sens, pour peu que ce dernier desserve l'itinéraire couvert. Ce pendant une période de 2 mois correspondant à la validité du billet. Seules contraintes : composter le jour du départ, consulter le tableau de réception des trains pour se positionner à l'avance sur le bon quai, et monter à bord si la rame était déjà présente. Se posait déjà la question des disponibilités dans les trains de grandes lignes bondés, problème qui pouvait être aisément contourné par une réservation à prix modique non-obligatoire. Enfin, et sauf réservation, le placement était libre. Premier venu, premier servi. Et surtout, comme déjà dit, le client avait la certitude que son train roulerait. Arrivée en avance, retard de train, rupture de correspondance ? Aucune formalité à accomplir, aucune perte d'argent... Il suffisait au client de prendre le train adapté à son horaire.

Aujourd'hui : impossible de connaître les prix à l'avance. Obligation de réserver dans la plupart des trains de Grandes Lignes et dans tous les TGV. Ce n'est qu'au moment de la réservation que l'agent du guichet, ou Internet, sont en mesure de confirmer la circulation du train, d'en indiquer les horaires et le prix. Mais il y a une nouveauté. Depuis le début des années 2000, certains titres de transport, et notamment les offres promotionnelles, ne sont plus accessibles QUE par Internet. Une manière comme une autre d'assécher les guichets. A ce sujet, l'année 2018 constitue une véritable hécatombe avec des dizaines de fermetures réalisées ou en cours. 1000 emplois sont sur la sellette...

Une fois le voyageur muni de son précieux sésame, version carton, papier ou Smartphone (qu'il vaut mieux ne pas se faire voler), celui ci doit attendre 20 minutes avant le départ du train pour connaître la voie qu'il empruntera. Quand bien même le train serait déjà à quai depuis une heure, le voyageur patientera dans le chaud ou dans le froid.

Bien sûr, pas question d'emprunter un autre train que celui qui est réservé. C'est celui-là et pas un autre. En cas de rupture de correspondance, et sauf autorisation expresse de la SNCF, pas question d'emprunter un autre TGV sans être repassé par les guichets... Et comme si le dispositif n'était pas encore assez lourd, la SNCF a généralisé les portillons dans les grandes gares, freinant ainsi plus encore la progression des voyageurs.

La dictature de l'Internet et du bas-coût

Ce n'était sans doute pas encore assez compliqué. En 2004, La SNCF s'était essayée à grande vitesse à petit prix en créant IdTGV. Le principe en était simple : accoler à un TGV classique, vendue au prix du marché, une rame au service allégé, avec des services réduits et des prix moins élevés. Pourquoi pas. Il y en avait pour tous les goûts. Après 13 années d'exercice, au demeurant satisfaisant, IdTGV a cédé la place aux TGV Ouigo. En 1956, la SNCF supprimait la troisième classe. Elle est désormais rétablie avec la mise en service d'un train rapide, certes, mais comprenant des sièges serrés et exigus, aucun service à bord, des bagages payants, l'obligation de se présenter à l'embarquement 30 minutes avant le départ... Et bien sûr, cette prestation, très rigide, n'est accessible que par Internet.

Là où le bât blesse, c'est lorsque la SNCF remplace ses TGV classiques (nommés Inoui) par des Ouigo. Exemple concret. Les retours de Paris vers de Luxembourg se faisaient tous les xxh40. Dans l'ancienne configuration, il était possible de prendre le train à 14h40, parfois à 15h40 ou à 16h40 après une bonne matinée de réunion. Le client qui tablait sur le 14h40 devant  finalement devait reporter son voyage de quelques minutes pouvait se rabattre certains jours sur le 15h40, et au pire sur le 16h40. Sauf que désormais, le 16h40 s'est transformé en un Ouigo... accessible que par Internet. Impossible de changer le titre de transport initial au guichet ou par Internet... Et puis, en termes de confort, cela ne répond pas au besoin d'une clientèle d'affaire qui se reporte donc systématiquement sur le 17h40... rapidement complet, puis sur le 18h40 qui le devient aussi. Bilan : un train de 14h40 raté de quelques minutes peut faire perdre pas loin de 5h00 si le client se rabat, à défaut d'autres solutions, sur le train de 19h40... Une catastrophe ! Un paradoxe qui contraste avec la grande vitesse ! Des clients "fréquence" très mécontents, et une situation qui préfigure les affres que connaîtront les usagers lors de l'arrivée de la concurrence.

 

Autre pierre apportée par la SNCF dans la construction de son usine à Gaz. Les billets promotionnels Prem's. Ils étaient jusqu'à présent délivrables sous format cartonné classique. Depuis fin septembre, c'est fini. Ils seront désormais exclusivement imprimables et nominatifs, ce qui interdit toute cession à un tiers. Un pavé dans la mare des sites qui avaient fait leur beurre en jouant les intermédiaires entre clients souhaitant céder un billet inutilisé... mais aussi une contrainte supplémentaire pour ces derniers.

Des sanctions pour tous ?

Ce n'est pas fini. Pour être complet, faisons écho à quelques bruits de couloir. La SNCF estime son manque à gagner dû à la fraude à 300 millions de francs par an. Une perte qu'elle affiche régulièrement vouloir juguler, alors qu'elle supprime à tour de bras la présence dans les trains et dans les gares. Comment ? En supprimant toute forme de complaisance vis à vis des voyageurs sans billet. Fini les excuses du style « je n'ai pas eu le temps d'acheter mon billet » ou « je n'avais pas de pièces pour le distributeur ». Aujourd'hui, un client de bonne foi qui se présente en temps utile au contrôleur peut bénéficier du même tarif qu'au guichet. Demain, ce serait terminé : tarif de bord (plus cher) pour tous ou PV à ceux qui monteront sans billet. Répression pour tous, fraudeurs et clients. Voyons si ce bruit de couloir se concrétisera !

Et ce n'est pas tout !

Pour être vraiment complet sur les évolutions des prestations servies aux voyageurs depuis quelques années, il faudrait également citer la disparition de nombreuses liaisons transversales, les suppressions d'arrêt TGV desservant les villes moyennes, l'obligation de traverser Paris pour se rendre à l'autre bout de la France, les ruptures de correspondance instaurées ou occasionnées lors des retards, pour éviter les sanctions financières des Autorités Organisatrices, le massacre des trains de nuit,  les dysfonctionnements liés aux sous-investissements pratiqués par les gouvernements successifs...Mais tout ça, c'est une autre histoire.

Ça pourrait être mieux après !

Reconnaissons toutefois, en toute objectivité, que malgré les embûches accumulées sur le chemin des Voyageurs, la SNCF remplit ses trains. Ses TGV restent globalement rentables. Sur de longues distances, les clients se font toutefois séduire parfois par l'aérien, dont la tarification avait inspiré la SNCF... Ironie du sort ?

Non, le « c'était mieux avant » ne peut être généralisé... Cependant, force est de constater que la technocratie a bien grippé les rouages d'un mode de transport et freiné pour partie ses perspectives de développement. Imaginons qu'il n'y a pas si longtemps, avec un simple billet de banque en poche, on pouvait s'offrir un titre de transport valable 2 mois et sauter dans le premier train utile... que l'on attendait bien au chaud dans la salle d'attente de la plus petite des gares, qu'il y avait un minimum de confort à bord de tous les trains... 

Le « progrès » nous a-t-il vraiment rendu heureux ? Un peu de bon sens, moins de technocratie, de pures finances, et ce sera peut-être mieux après !

 

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