SNCF : conflit sans issue

La problématique
« Plus de trains, à l’heure, au meilleur prix » réenchérissait Edouard Philippe, ce lundi pour justifier sa réforme. Des arguments qui avaient été avancés lors du lancement de celle-ci, à un détail près. Cette fois, le Premier ministre crut bon d’ajouter que cette réorganisation n’était pas « contre les cheminots ». Eh bien, si la suppression du Statut des agents, la transformation de la SNCF en SA, la filialisation de Fret SNCF, le transfert des salariés aux opérateurs privés, l’instauration de la polyvalence… ne sont pas des mesures « contre les cheminots », on a peine à imaginer de orientations qui seraient pires.
Le mépris, l’arrogance de ce Gouvernement envers une entreprise et son personnel demeurent intacts. La pseudo concertation engagée depuis avril, dont sont exclus les points les plus importants de la réforme, n’a fait qu’ajouter au malaise. Même les syndicats d’accompagnement peinent à trouver une porte de sortie au conflit en cours. Car il est vrai que les reculs sociaux que ce Gouvernement souhaite imposer sont ressentis par les cheminots comme une double peine. Après avoir des années durant été soumis à des efforts du fait de l’abandon du rail par les Gouvernements successifs, leur « récompense » serait la perte de 80 années d’évolutions sociales et la privatisation à terme de leur entreprise… Non, de l’agent d’exécution au cadre supérieur, cette odieuse provocation ne passe toujours pas !
Les syndicats pris en étau
Parmi les syndicats figurent tout d’abord les plus durs. Ceux qui ne se posent pas de questions. Face à une attaque, ils vont jusqu’au bout de la démarche et parfois même au-delà. Il y en a d’autres, qui tout en participant aux actions menées gardent toujours à l’esprit qu’à un moment, il s’agira de sortir dans toute la mesure du possible par le haut de toute action menée, et éviter un enlisement préjudiciable à tous. Enfin, il y a les syndicats d’accompagnement, qui la plupart du temps prennent acte des décisions après avoir bombé le torse pour la forme, et tentent d’en minimiser les conséquences. En principe, chacun est dans son rôle et la conjugaison de toutes ces tendances, a priori opposées, a parfois offert à des conflits des issues pas si malheureuses.
Sous Sarkozy comme sous Hollande, les Gouvernements avaient pris parti de s’attacher le soutien des syndicats d’accompagnement pour faciliter les reculs sociaux : retraites, lois travail… Précisons une nouvelle fois que la montée en puissance de ce type de syndicalisme n’est pas le fruit du hasard mais celui des urnes, ce qui signifie implicitement qu’une frange grandissante de la population salariée accepte le principe de l’érosion de ses droits. C’est un fait.
Cette fois, Jupiter, pardon, Attila a décidé de faire l’économie de la phase séduction. Qu’ils soient « révolutionnaires », « réformistes » ou « accompagnants », tous les syndicats de la SNCF ont été logés à la même enseigne, et attaqués de front... Ce qui a conduit deux d’entre-eux, pourtant peu combatifs d’ordinaire, à rejoindre le mouvement de contestation. Ajoutons que leurs propres troupes, peu enclines à se mobiliser, n’auraient pas apprécié que leurs mandants demeurent bras ballants face à des attaques sans précédent. Oui mais voilà… Face à un Gouvernement visiblement obtus, aucune porte de sortie ne se profile à l’horizon, ni pour les uns, ni pour les autres…
Les syndicats d’ « accompagnement » humiliés
La fin du Statut des cheminots ? Pas négociable ! L’ouverture à la concurrence malgré ses impacts techniques et sociaux néfastes et maintes fois prouvés… Pas négociable ! Le Statut de la SNCF, c’est plié… En résumé, il resterait à négocier la longueur de la corde avec laquelle les cheminots seront pendus, notamment les conditions de transferts du personnel aux opérateurs privés ou la convention collective commune à l’ensemble des salariés des opérateurs ferroviaires, qui sera de fait très en retrait par rapport aux règles appliquées aux cheminots de la SNCF. Est-ce le rôle d’une organisation syndicale de négocier des reculs sociaux ? A l’inverse, si ces échanges sont boudés, quid de la future législation du travail des salariés du rail ? Avouons que face à un tel dilemme, la contestation pure et dure est plus confortable.
Voilà donc les « accompagnants » coincés entre leur obligation morale de négocier et la contestation, bien légitime, des mesures prises à l’encontre des cheminots et de leur entreprise… Tout cela sans qu’aucune miette ne leur soit concédée par le Gouvernement. Ce dernier semble, au passage, mettre en valeur la prise en compte d’ « amendements » qui lui sont proposés… Fin stratège, il accentue ainsi le porte-à-faux dont sont victimes les « accompagnants ». Leur participation à cette caricature de négociation apparaît ainsi comme une collaboration aux reculs sociaux… Avec ce Gouvernement, tout le monde en prend pour son grade !
Le traitement de la dette n'est plus une échappatoire viable
Autre sujet auxquels les « accompagnants » souhaitent s'accrocher pour tenter une sortie "honorable" : le traitement de la dette dite « de la SNCF ». Mais là aussi, quand-bien même ils obtiendraient quelques avancées sur ce thème (ce qui ne semble guère à l’ordre du jour, le Gouvernement restant très évasif sur le sujet), cette question ne concerne plus du tout les agents de la SNCF.
Jusqu’à présent, cette « dette infrastructures » de près de 50 G€ pesait considérablement sur l’avenir de la SNCF, la consistance du réseau ferré français, les acquis sociaux du personnel et leurs conditions de travail… Or, avec si la réforme devait être mise en œuvre en l’état, toutes ces menaces initialement imputables à la situation financière de l'entreprise se traduiraient en faits, SNCF désendettée ou non !
L’avenir de la SNCF ? Compromis au-delà de toutes les craintes exposées jusqu’à présent ! La consistance du réseau ? Amputée par des Régions à qui la responsabilité des petites lignes sera transférée sans soutien financier ! Les acquis sociaux ? Compromis à un point qui n’était même pas imaginable ! Dans ces conditions, l’apurement de la dette ne présente plus le moindre intérêt pour les cheminots et ne constitue pas une porte de sortie viable au conflit en cours…
Privés du soutien du Gouvernement, les accompagnants sont donc obligé de faire semblant. Et notamment, pour sauver la face, de valoriser des « avancées » qui n’en sont pas. Et peut-être de mettre en avant, le moment venu, d’autres qui n’en sont plus. Tout cela pour justifier une sortie d'un mouvement qui leur pèse de plus en plus.
Les observateurs auront également noté la divergence d’approche entre une grande confédération, dont le secrétaire général est plutôt conciliant avec le Gouvernement, et sa branche cheminote, contrainte au grand écart entre cette attitude et une autre, plus rigide, qu’inspire légitimement le comportement odieux du Gouvernement.
Quelle issue pour ce conflit ?
Certains observateurs affirment que le Gouvernement souhaiterait l’éclatement du front syndical, et que, pour ce faire, il tiendrait à obtenir les bonnes grâces des « accompagnants ». En réalité :
- Le front syndical n’a jamais été uni, les plus gros syndicats persistant à pratiquer la division malgré l’ampleur des enjeux. En revanche, l’union s’est réalisée sur le terrain, entre cheminots dans l’action.
- La volonté du Gouvernement d’écraser les syndicats, quelles que soient leurs tendances, est manifeste. Il n’aurait à ce stade aucun intérêt à changer de stratégie.
- Comme déjà écrit, avant même le lancement de cette réforme, les enjeux ne sont pas ferroviaires mais égotiques et politiques. Face à la volonté d’un homme de cultiver son image et de promouvoir le libéralisme, aucune perspective de négociation n’est à espérer… Sauf si un réel rapport de force s’imposait. De part et d'autre, chacun aura donc tendance à camper sur ses positions. Jusque quand ?
Dans ce contexte, l’action toujours menée par les cheminots relève d’un combat du pot de terre contre le pot de fer. Bien malin est celui qui présagera de son issue. Mais face au dénigrement que les salariés ont subi, face aux menaces qui pèsent sur eux et sur leur acquis, leur réaction est légitime. Un peu comme celle d’un peuple, qui même en infériorité numérique se battrait contre l’envahisseur, ou celle d’un individu qui feraient face, seul contre tous, à l’injustice qu’il subit.
Parfois, le vent tourne. Les circonstances remettent les arrogants à leur place. L’Histoire juge alors ceux qui ont été fidèles et ceux qui ont trahi. A bon entendeur.