Vaste opération de déstabilisation de la grève SNCF

Publié le par Bernard Aubin

 

Ce que l’on connaît de longue date

A la SNCF, l’unité syndicale n’existe plus depuis plus de 10 années. L’équilibre des forces, entre direction et salariés, s’est étiolé. En cause, la montée en puissance du syndicalisme d’accompagnement, l’individualisme et l’indifférence. Gouvernement et direction sont bien conscients des bénéfices qu'ils peuvent tirer de cette situation, et des appuis internes sur lesquels ils pourront compter. Au lendemain de l’annonce des menaces les plus graves que la SNCF et son personnel n’aient jamais connu, 4 syndicats sur les 9 que compte la SNCF ont unilatéralement envisagé la riposte à mettre en œuvre, notamment cette « grille du loto » destinée à faire pression aux moindres frais. Une véritable usine à gaz, séduisante sur le papier mais difficilement applicable en réalité.

Entre-temps, cette fameuse grève du 22 mars allait bouleverser la donne.  Seule finalité de cette action : permettre aux cheminots qui le souhaitant de grossir les rangs des manifestations organisées le même jour. Dans ce cas de figure, le taux de grévistes est généralement inférieur à 10 %. Avec plus de 35 % de participants issus de tous les collèges, la grève « technique » s'est spontanément transformée en grève de protestation. Signe que sur le terrain, la situation est explosive et risque même de déborder les organisations syndicales.

Premier impact : l’unité syndicale déjà réduite et fragile devra se priver d’un syndicat, qui a décidé de déposer individuellement un préavis de grève reconductible. A l’heure actuelle, la situation est donc la suivante : 3 syndicats favorables à la grille du loto, 3 syndicats favorables à la grève reconductible. Dernière solution pour laquelle plaiderait même la direction SNCF elle-même. Nous y reviendrons.

 

Les axes de déstabilisation

  • Communication

Principal objectif des partisans de la réforme, gagner la bataille de la communication. Et pour ce faire, il s’agit avant tout de passer sous silence les réels objectifs d’une réforme bien plus politique et financière que ferroviaire : la mise à mal du dernier bastion social français ouvrirait les portes à tous les reculs sociaux.

Après avoir dans un premier temps dénigré de manière répétitive la SNCF et ses salariés, tout en se défendant de le faire, le Gouvernement tente d’ancrer dans les esprits le caractère urgent et indispensable d’une réforme, ringardisant ainsi tout opposant avant même tout échange sur le fond.

Ensuite, le même tente de culpabiliser ses interlocuteurs, en affichant une volonté de concertation qui en définitive ne porte que sur les modalités de mise en œuvre des orientations arrêtées très longtemps à l’avance et fortement contestées par le personnel. Une manœuvre qui vise autant à acter les décisions prises qu’à placer les opposants en porte-à-faux. L’opinion publique n’aura  grâce vis-à-vis des cheminots qui « refuseront de négocier », même si les échanges ne portent que sur la longueur de la corde qui servira à les pendre.

Ultime étape, qui ne manquera pas d’intervenir une fois que la grève aura été déclenchée : mettre en avant le caractère abusif, « incompréhensible » et préjudiciable de la grève. Une stratégie employée à quelques années d’intervalle par Nicolas Sarkozy et Emmanuel Valls.

  • Accompagnement

Direction et Gouvernement pourront compter sur le soutien des deux syndicats d’accompagnement. Leur fidélité à toute épreuve a été prouvée en 2014 lors du conflit contre la réforme du système ferroviaire. Les deux organisations avaient alors ouvertement pris fait et cause pour la réorganisation, reprenant intégralement à leur compte l’argumentaire fallacieux de la SNCF.

Cette fois, la situation est un peu plus complexe. L’enfumage est plus difficile, lorsque le Statut, la consistance même du réseau, l’emploi au sein de la SNCF sont clairement remis en cause. La Direction de la SNCF a donc rapidement lancé des « concertations » internes dans l’espoir de déboucher sur quelques compensations à offrir aux cheminots lésés. Des « avancées » qui ne manqueront pas d'être mises en valeur pour sortir le plus rapidement possible de la grève, à défaut de ne plus pouvoir éviter d’y entrer. Peut-être les accompagnants ne cocheront-ils qu’une case de la grille ?

  • Dissuasion

Ils pensaient avoir tout prévu : une grève « efficace » au moindre coût. Mais outre la difficulté, bien prévisible, de mettre en œuvre cette usine à gaz sur le terrain, les partisans de la grève "grille du loto" n’ont pas anticipé la bataille juridique qui se profile. La SNCF affirme que les préavis successifs, qui devaient permettre aux cheminots de tenir sur la durée à moindre frais, ne constituent qu’un seul et même mouvement. Si la Justice venait à confirmer cette approche, cela changerait considérablement la donne. L’impact financier serait plus conséquent, et l’un des principaux intérêts du calendrier tomberait. De quoi voir peut-être certains cheminots finalement privilégier le mouvement reconductible proposé par 3 syndicats. Un mode de grève finalement moins perturbant qu’un mouvement étalé sur plusieurs mois désorganisant totalement la circulation des trains. La grève reconductible constituerait un autre avantage pour la direction, qui pourrait miser sur  un étiolement de l'action face à la détermination du Gouvernement. Un pari qui n’est pas gagné d’avance au regard de la grogne sans précédent exprimée par les cheminots. De plus, un mouvement reconductible échappe à tout contrôle dès les premiers jours.

Contester la légalité d’un mouvement de grève, c’est faire appel à la Justice. Sauf que dans l'attente de la décision, la direction sème le doute et les interrogations. De quoi interpeller des cheminots qui ne souhaiteraient pas se retrouver en situation d’illégalité. Cette simple menace en fera réfléchir plus d’un. Incontestablement, la SNCF tente de déstabiliser les candidats à la grève.

  • Sanctions

Depuis l’arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir, et quels que soient les Gouvernement en place, des consignes de fermeté ont été données. La direction de la SNCF les décline avec zèle, parfois même avec délectation. Bien sûr, les jours de grève ne sont pas payés. Et parfois, même les jours travaillées ne le sont pas non-plus. Lors de précédents conflits, les bureaux administratifs ont été contraints d’établir le plus rapidement possible les retenues sur salaires au point que, totalement débordés, ils ont commis des erreurs. Ce n’est pas le pire. Il est certain que la situation de chaque gréviste sera examinée de près. Notamment celle des agents soumis à Déclaration Individuelle d’Intention ou Demande de Reprise du Travail. La moindre erreur, ce sera la sanction…

Le paradoxe, c’est que nombre d’agents risquent d’être punis pour avoir défendu l’avenir de la SNCF ! Mais il est clair que leur Entreprise, celle pour qui ils se battent, ne leur fera pas de cadeau ! Pire encore si elle constatait des dérives de comportement. Les cheminots doivent en être conscients.

 

  • Remplacements

Minimiser à tout prix l’impact de la grève… C’est actuellement l’objectif principal de la direction SNCF. Elle forme ainsi nombre de ses cadres au remplacement d’agents qui concourent à la circulation des trains. Attention, danger ! Un aiguilleur, un chef de circulation, un conducteur de train ne se forment pas en un jour. La maîtrise de ces métiers ne repose pas que sur des connaissances théoriques, mais aussi sur une pratique régulière et une expérience quotidienne. Attention à ce que la SNCF ne joue pas avec la sécurité des circulations ! Un accident est très vite arrivé, surtout si le zèle venait à se conjuguer à l’inexpérience. Les agents qui accepteront de remplacer un acteur sécurité doivent être conscients qu’ils engagent leur responsabilité personnelle. En cas d’accident, la Justice ne leur fera pas de cadeau.

  • Séduction

Après le bâton, la carotte. Gros point d’achoppement entre direction et syndicats, le nombre, la consistance et les périmètres des futures Instances de Représentation du Personnel. Rappelons que malgré l'affichage d'une volonté de promouvoir le dialogue social, le Gouvernement  n'a ni plus ni moins fait voler en éclat les institutions existantes : DP, CHSCT et CE. A la SNCF, cela devait se traduire par la disparition de 800 instances au profit de 23 « CSE ». Fini la proximité entre le délégués et salariés, fini toute perspective de dialogue social… sans parler des conséquences catastrophiques en termes de moyens de fonctionnement syndicaux. C’est vrai que le dialogue social sans syndicalistes, c’est plus facile.

Alors que tout semblait définitivement arrêté, et que le projet de découpage était pratiquement gravé dans le marbre, surprise vendredi dernier. Miracle, même ! De 23, le nombre de CSE est passé à 33 ! De quoi limiter la casse sans l’enrayer, mais aussi de quoi séduire certains. Il est évident que la Direction agira sur tous les leviers à sa portée pour séduire les syndicats, avec pour conséquence la fragilisation d’une « unité » que certains affichent encore, mais que finalement peu ont souhaité.

Conclusion

 

Bien malin sera celui en mesure de pronostiquer l’issue du conflit. Une action dans laquelle chaque protagoniste avance ses pions tour à tour, dans un contexte des plus versatiles. Au centre de tout ça, des usagers qui ne rêvent que d’une chose, prendre le train dans les meilleures conditions possibles.

Comme déjà écrit et répété ici, le premier enjeu de cette grève est sans doute la satisfaction de l’orgueil personnel d’un être dont le cerveau, bourré de neurones, n’a laissé aucune place à une once de sagesse.  Un Jupiter qui prend peu à peu l'envergure d'Attila.

Ce qui se passe actuellement en France devient TRES inquiétant, les français se doivent d'ouvrir les yeux et surtout d'éviter de se tromper de cible.

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article