SNCF : des modalités de grève inédites

Que personne ne s'y méprenne… Ni l’union, ni l’unicité syndicale n'ont été au rendez-vous à la veille d’un conflit majeur à la SNCF, malgré l'ampleur des menaces qui pèsent sur la SNCF et sur les cheminots. Quatre syndicats sur les neuf que compte la SNCF ont, seuls, décidé des modalités de l'action à venir. Et deux d’entre-eux saisiront la première perche qui leur sera tendue pour abandonner le navire. Sauf à s’enfermer totalement dans l’attitude brutale et provocante qui l'a guidé jusqu'à présent, le Gouvernement saura, le moment venu, fragiliser ce front syndical hétéroclite et décousu.
Un levier essentiel restera cependant hors de sa portée : la mobilisation des cheminots. Car ce sont eux et eux seuls qui décideront de l’ampleur de leur action. Rappelons qu’en 1995, le conflit n'a non seulement pas été initié par les syndicats, mais il leur avait même échappé les premiers jours… Les syndicats avaient « ramé » pour en reprendre le contrôle. Et il n’y a rien de pire, pour l’ensemble des parties prenantes, que de ne plus avoir d’interlocuteur légitime.
Les provocations répétées font converger les positions syndicales
Quatre syndicats ont donc décidé hier de mener la grève sous une forme inédite. Une sorte de grève « par roulement » qui ne connaît pas vraiment d’équivalent, à cette échelle, à la SNCF… Pourquoi ce choix ?
Plantons le décor. Rappelons une nouvelle fois que toutes les décisions portant sur l’avenir de la SNCF et les acquis de son personnel ont été arrêtées de très longue date, sans le moindre débat citoyen préalable et sans la moindre concertation avec le personnel. S’ajoutent à cela les provocations récurrentes du Gouvernement à l’égard de la SNCF et des cheminots. Des salariés qui apprécient peu, après avoir livré des années d’effort pour minimiser l’impact du désengagement de l’Etat de la cause ferroviaire, d’être « remerciés » par la remise en cause de leur Statut, la fermeture du tiers du réseau ferré et la privatisation de l’Entreprise. Face à cette politique de défiance assumée, toute confiance est définitivement rompue. Cette mise en scène odieuse, consistant à afficher une volonté de concerter sur la longueur de la corde avec laquelle les cheminots seront pendus, alors que la sentence de mort a été prononcée, relève d’une ultime provocation… Guillaume Pepy, a beau ramer et jouer le grand écart jusqu'à en souffrir, il n'est plus et ne sera plus écouté.
Des modalités de grève inédites
A ce stade et au vu des orientations retenues, les cheminots ont non-seulement tout perdu, mais se trouvent de surcroît régulièrement traînés dans la boue. Ils ont donc tout à gagner en se mobilisant. Revenons-en au mode d’action proposé : une grève de 2 jours sur 5 qui s’étalerait du 3 avril au 28 juin… Pourquoi ce choix ?
Déjà, parce que ni les syndicats dits « représentatifs », ni les observateurs les plus chevronnés ne sont en mesure de prévoir, et encore moins sur la durée, la mobilisation des cheminots. Le top ou le flop, personne ne sait ! Car si le ras-le-bol est unanime au sein de l’Entreprise, si l’opposition aux mesures gouvernementales est totale, cela ne signifie pas pour autant que la mobilisation sera générale. Les quatre syndicats ont donc décidé de jouer la prudence, au risque, si le conflit démarre, de se laisser dépasser par leurs troupes…
Parmi les modes d’actions, deux ont été le plus couramment utilisés par le passé : les grèves « carrées » de 24 heures et les grèves « illimitées » comme en 1995 ou plus récemment en 2007 ou 2014. Rien de pire, sur le plan de la mobilisation, que de faire se succéder des grèves de 24 heures. Ce type d’action démobilise les salariés par usure et compromet à terme toute perspective de mouvement illimité. De plus, c'est un mode de grève qui ne débouche jamais sur rien de concret. Cette stratégie, aux conséquences bien prévisibles, avait pourtant été mise en œuvre par 4 syndicats en 2014... avec des conséquences désastreuses. Plus dure, la « grève illimitée ». Le seul mouvement à même de faire bouger les repères, mais à condition qu’il soit suivi et, de préférence, soutenu par l’opinion publique… Un pari qui n’est pas forcément gagné d’avance, dans une société où, à l’inverse de 95, l’individualisme, l’indifférence, les intérêts personnels immédiats ont pris le pas sur la solidarité pourtant indispensable a préserver les acquis de tous des salariés.
Quatre syndicats SNCF viennent donc d'inventer un nouveau mode de grève, le 2/5, étalé dans la durée. Une usine à gaz, difficile à inscrire dans une cadre légal qui pourrait dérouter plus d'un agent sur le terrain. Sur le plan organisationnel, les effets peuvent être redoutables : il faut compter grosso-modo 48 heures pour remettre sur pied l’organisation de la circulation des trains après une grève. Ce qui veut dire que sur toute la période du 3 avril au 28 juin, le service sera allégée ou dégradé. Pas sûr du tout que les usagers apprécieront. Reste à savoir à qui ils en imputeront la responsabilité : le Gouvernement, les Cheminots, la SNCF… ?
Attendre de ce Gouvernement la moindre concertation, la moindre ouverture d’esprit, le moindre recul sur les grandes lignes de la réforme serait naïf et illusoire. Le choix de la confrontation a été retenu et assumé dès le départ. L’enjeu dépasse très largement le cadre de la SNCF. L' "urgence" si souvent évoquée par le Gouvernement se limite à ouvrir le plus tôt possible les marchés lucratifs de la SNCF aux entreprise privées. On en attend pas moins d’un banquier !
L'enjeu majeur est ailleurs. La casse du dernier bastion social français vise à ouvrir la porte à tous les reculs sociaux, et à "tatchériser" la France. Il est indéniable qu’après la remise en cause du Statut du cheminot, le Code du Travail sera à son tour allégé. La stratégie du Gouvernement est cousue de fil blanc mais nombre de Français pratiquent la politique de l'autruche... jusqu'à ce que vienne leur tour.
Il est indispensable que les Français comprennent, comme en 95, que la remise en cause des droits des cheminots et des fonctionnaires n’est pas une fin en soi, mais un tremplin aux reculs sociaux à venir. Et pour ce faire, souhaitons-leurs de lever à temps la tête de leurs Smartphones et autres jeux vidéo, de cesser de s'extasier devant le jeunisme de la Première dame, d'ouvrir les yeux avant que le réel ne les rattrapent cruellement dans ce monde virtuel.
Tous ensemble ?
Cheminot, salarié, ton destin repose avant tout entre TES mains !
A lire ou à relire : "La réforme de la SNCF pour les Nuls"