SNCF : action ou illusion ?

Confrontée à la dégradation d’un réseau classique qui a vieilli dans l’inférence des Gouvernements successifs, à la désorganisation interne issue de la mise en œuvre de gestions fumeuses mais à la mode, aux segmentations et autres cloisonnements que lui infligent l’Union Européenne, et enfin aux saignées qu’elle se pratique tous les ans en supprimant pas loin de 2000 postes malgré des besoins en augmentation, la SNCF est face à une alternative : soit renouer avec le bon sens en répondant aux exigences fondamentales du ferroviaire, soit poursuivre sa route sur le chemin des illusions vendues à ses voyageurs.
La première solution nécessite de la volonté, des investissements conséquents, une révolution culturelle au niveau européen, et une rupture franche avec un monde virtuel alimenté par des hordes de dirigeants bardés de diplôme, docteur ès conceptualisation, qui n’ont jamais vu un rail – ferroviaire – de leur vie.
La seconde est moins complexe et surtout moins coûteuse. Dans les années 90, la mode était à la certification des trains et des gares. Elle a fait les choux gras des boites spécialisées dans la vente de vent. Certifiés, les trains n’en étaient pas plus à l’heure, les gares n’en étaient pas mieux entretenues ou plus accueillantes, mais à défaut de s’attaquer au mal, la SNCF en avait modifié la perception, ou tenté de le faire. Bienvenu dans le monde fabuleux de l'illusion qui ne demande qu'à prospérer.
Guillaume Pepy, Patrick Jeantet et Elisabeth Borne se sont une nouvelle fois retrouvés suite aux énièmes pannes et autre dysfonctionnements survenus l’année dernière sur le réseau. Le but ne fut pas, cette fois, de tirer les oreilles des dirigeants de la SNCF jusqu’à la prochaine panne. Tant mieux, car ce genre d’effet de scène avait atteint ses limites au point d’en devenir agaçant. D’autant plus qu’Elisabeth Borne, ancienne directrice de la stratégie SNCF et ancienne présidente de la RATP n’est pas la mieux placée pour s’atteler à l’exercice.
Il s’agissait donc cette fois, officiellement, d’une réunion de travail. De quoi cette rencontre a-t-elle accouché ? Entre-autres d’une perspective d’audit sur les installations et le fonctionnement de grandes gares, notamment parisiennes. Ah bon ?! Et les autres trains, les TER, les Intercités qui irriguent la France et les TGV ne sont jamais victimes d’aléas ? Pourquoi une approche si réductrice ?
40 % des retards sont dus à des problèmes de réseau, à des causes externes… Que fait-on des 60 % qui restent ? Ne serait-il pas temps de s’atteler aux problèmes internes qui polluent le fonctionnement de l’entreprise, au déficit en personnel et en investissements, à tout ce qui a été évoqué précédemment… Sauf que là, cela nécessiterait une révolution culturelle de la tutelle en termes d’attentes, d'orientations politiques, de directives, de soutien au mode ferroviaire. Et de plus, cela risquerait de coûter cher alors que les caisses sont vides. Alors, continuons à bricoler, à nous voiler la face, c'est plus pratique.
Les innovations de la SNCF annoncées au lendemain de la rencontre au sommet
Smartphone über alles (le Smartphone au-dessus de tout)
Fini les bons vieux billets de train. Votre Smartphone devrait bientôt devenir un outil de paiement, un titre de transports, un « Waze du train » (application GPS routière mise à jour en temps réel, indiquant l’itinéraire et le modifiant au besoin en fonction des aléas).
Cette approche devrait séduire ceux d’entre-nous qui ne peuvent se déplacer que les yeux rivés sur leur téléphone. Et pour les autres ? La machine devrait au final tout remplacer : guichetiers, agents d’escales, contrôleurs… Au point même que la SNCF envisage que le Voyageur soit source de sa propre information. Prochain stade, qu’il conduise lui-même le train et balaie les quais de gare ?
Attention aux outils, au demeurant pratiques et séduisants, qui, parfois, infligent des contraintes supplémentaires. Prenons garde aux « avantages » qui se transforment en obligations. Personne ne nie les avantages apportés par Internet. Sauf que désormais, en cas de problème, il n’y plus d’interlocuteur compétent, voire plus d’interlocuteur du tout !
Attention aussi au syndrome Mac Donald’s qui tend à transférer sur le client des charges de travail qui relèvent des missions d'entreprises.
Enfin, le Waze du train peut être un outil intéressant, s’il est abouti. A savoir notamment que s’il gère totalement un acheminement, réservation comprise, lors de situations perturbées. Le danger, c’est si l'application renvoie l’usager vers des solutions alternatives au rail lors des dysfonctionnements. Enfin, la mise à disposition d’un tel outil pourrait au final encourager la SNCF à ne pas résoudre les problèmes à leur origine et à poursuivre sa politique d’efficience, dont les conséquences sont dramatiques en termes de qualité.
Les fans de l’Inspecteur Gadget apprécieront !
Venons-en maintenant à deux mesures relevant vraiment du gadget, de l’affichage, de la poudre aux yeux. La première, c’est cette échelle de Richter de l’impact des dysfonctionnements. Grâce à elle, vous apprendrez dès février qu’un dérangement d’aiguille aura peut-être moins d’impact sur la ponctualité qu’un suicide… ou qu’un arrachement de caténaire. Mais la SNCF ne peut en rester qu’aux généralités, aux approximations, car aucune situation ne ressemble à une autre. Livrer une information qui n’en n’est pas une, et qui n’avance pas à grand-chose, c’est un sacré tour de passe-passe !
Et puis, le petit couplet sur la transparence. Un mot qui doit toujours appeler à la vigilance. Vous saurez dès midi si vos trains de la veille ont bien circulé. Avec cette météo à l’envers, il y a peu de chance de se tromper. Et on vous la jouera franchement, car les causes des incidents et les responsabilités seront clairement identifiées. Et après ? Vous serez bien avancés ?
Force est de constater que la SNCF, mais surtout le Gouvernement, n’ont pas souhaité rompre avec la politique de l’illusion. Même s’il faut reconnaître, que certaines actions seront également menées en faveur de la modernisation du réseau.
L’avantage de l’illusion, c’est qu’elle coûte bien moins chère que l’action. La méthode Coué a toutefois dépassé ses limites.