Incidents SNCF : loi des séries ou château de cartes ?

Publié le par Bernard Aubin

 

La SNCF cumule les déboires sur une période relativement courte. Deux incidents majeurs se sont succèdés Gare Montparnasse. La gare Saint-Lazare a connu un engorgement sans précédent puis un blocage des trains dû à une panne de transformateur.  Cela s’ajoute aux aléas que vivent quotidiennement les usagers : retards, trains supprimés.... La récente mise en examen dans le cadre de l’accident, sans précédent, du TGV d’essais (11 personnes décédées) fragilise encore plus l'image de la SNCF. Et pour noircir encore un peu le tableau, cette catastrophe de Millas. A ce stade de l'enquête, la responsabilité de la SNCF n'est pas engagée. Mais elle se serait bien passée d'être impliquée dans ce terrible drame.

 

Il est assez surprenant de constater à quel point face  à ces incidents récurrents, chacun y va de son diagnostic, de ses remèdes, de ses exigences, voire de son message politique. Au point que la subjectivité des uns atteigne parfois la caricature. Se servir des incidents comme d'une tribune n'a jamais réglé les problèmes. Pragmatisme et humilité s'imposent.

Les causes de ces incidents sont tellement diverses que l’on peut légitimement invoquer la loi des séries, mais pas que…

La paralysie des trains à Montparnasse en juillet ? Une panne complexe, difficile à identifier, qui révèle au passage des failles dans la conception des postes d’aiguillage de grande envergure:  le cahier des charges n’a pas exigé la possibilité de fonctionner en mode dégradé. Le moindre grain de sable dans cette belle électronique, et tout est planté !

Plus récemment, au même endroit, c’est un bug informatique qui bloque les circulations. L'incident  pose la même question que précédemment. Il interpelle aussi sur la pertinence des procédures de changement de logiciels.

La cohue gare Saint-Lazare ? La SNCF a dû surmonter un afflux inhabituel de Voyageurs, inconnu par le passé. Pas top, la décision du Gouvernement de faire partir tout le monde en vacances en même temps... Cela pose la question de la réactivité de l’Entreprise en temps réel, et de la gestion permanente des moyens à flux -trop- tendu.

La panne du transformateur ? Pas de chance ! L’ancien a rendu l'âme juste avant la mise en service,  programmée dans quelques jours, de son successeur. Mais cela pose également la question de la maintenance préventive, abandonnée pour raison de « productivité », qui permettait jadis d’anticiper les pannes… Des « économies » qui coûtent cher aux clients, et se retournent finalement contre la SNCF.

Revenons-en aussi à l’accident survenu à Brétigny, encore présent dans tous les esprits. Le 12 juillet 2013, le déraillement d'un Intercité fit 7 morts et 70 blessés. Le vieillissement du réseau classique et le manque d’investissement sont clairement en cause… Mais également l’organisation interne de la SNCF qui, « économies » obligent, n’avait pas permis l'identification  des défauts et la mise en oeuvre des mesures  pour parer aux risques…

Autant d’incidents, autant d’accidents, autant de causes différentes dont le diversité interdit l'amalgame… a priori.

La loi des séries explique en partie cette succession rapprochée d’événements. Mais elle n’excuse pas tout. La nature des dysfonctionnements révèle un mal bien plus profond, plus insidieux, plus dangereux.

En fait, plusieurs facteurs nocifs s'additionnent depuis des années. Ils minent les bases mêmes de la SNCF. Rongée de l’intérieur, l’entreprise risque à terme, comme beaucoup d’autres d'ailleurs, un effondrement brutal.

L’on peut citer ainsi :

  • L'état du réseau ferré, victime d’années de sous-investissements. Sa robustesse originelle a permis de tirer à l’extrême sur la corde . Mais cette corde est désormais trop usée. Elle s’effiloche de partout, au risque de se rompre brutalement sur tout le réseau.
  • L’organisation interne de la SNCF, de plus en plus segmentée, compartimentée, « américanisée », à l’inverse de ce qu’exige la technologie ferroviaire. Cet éclatement structurel dégrade l’efficacité et la réactivité de l’entreprise.
  • La politique de « productivité » à outrance. Les objectifs de qualité totale ont été remplacés par des objectifs d’ « efficience » (faire le mieux possible avec les moyens à disposition). Pour dissimuler les conséquences de cette politique, la SNCF a préféré, par le passé, médiatiser ses objectifs de régularité… plutôt que de se donner ou de réclamer les moyens de les réaliser !
  • Les suppressions massives d'effectifs : des milliers d'emplois disparaissent silencieusement chaque année (plus de 2000 en 2018) ! L'entreprise est incapable de  faire face à ses missions. Les besoins sont adaptés aux moyens, et non l'inverse.
  • La politique de recrutement visant à privilégier l’embauche de cadres et autres dirigeants à l’extérieur au détriment du déroulement de carrière interne. Ces agents ont apporté du sang neuf à l’entreprise. Mais la plupart d’entre-eux en ignorent les spécificités et la culture. Or, ces deux éléments constituent, avec le professionnalisme, le dernier lien qui permet à une entreprise délibérément désorganisée de fonctionner.
  • La non-transmission du savoir entre génération de cheminots qui va confronter très rapidement la SNCF à de nombreuses difficultés, notamment dans la maintenance d’installations ferroviaires. Certaines atteignent 80 ans et d’autres, plus récentes (postes informatisés), vieillissent mal et échappent aux connaissances des agents.
  • Enfin, le « management des ressources humaines », qui a remplacé la gestion du personnel. Cette politique encourage la servilité au détriment du service des  intérêts réels de l'Entreprise. Les anciens cheminots n'ont qu’une hâte : atteindre l'âge de la retraite et quitter au plus vite une entreprise qui ne les reconnaît plus, et qu'ils ne reconnaissent plus. Lorsque la SNCF ne sera plus constituée que de technocrates et d'ambitieux aux dents longues, les trains ne rouleront plus…

 

La SNCF vient d’être victime d’une brutale loi des séries. A moins qu'il ne s'agisse, en réalité, de l'apparition des prémices d'un mal plus profond, plus grave, plus insidieux. Un mal qui ronge l’entreprise de l’intérieur depuis des années, comme des termites rongent l’ossature d’une maison.

A force de détourner son regard des petits tas de poussière, et de rester sourd au bruit des insectes  qui grignottent, la maison SNCF risque de s’effondrer bientôt, dans un grand fracas. Le château de cartes commence à vaciller...

Ni les effets de scène du Gouvernement, ni les solutions attendues de Spinetta, ni la privatisation réclamée comme panacée ne relèveront le système ferroviaire français. Seuls le retour au bon sens et  les investissements y contribueront. 

 

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G
Je ne suis pas certain que LES technologies ferroviaires ne soient pas également à l'origine d'une forme de segmentation, qui ne me semble pas incohérente
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R
Eh oui ! Aujourd'hui cadre honoraire de la SNCF (c'est ma situation administrative - on en a tous une) j'ai intégré l'entreprise à l'échelle 2 (avec un an d'essai - ça vous rappelle quelque chose ?).<br /> J'ai donc commencé par atteler les wagons, graisser les aiguilles, vendre les billets et taxer les petits colis, entre-autres tâches manuelles.<br /> Et l'entreprise m'a offert la possibilité de gravir les échelons. C'était le statut des élèves exploitation comme celui des apprentis dans d'autres activités.<br /> Puis on a parcellisé les activités. Chacun son métier en profitant des formations externes.<br /> Au détriment de la cohérence d'ensemble. Avec le résultat qu'on mesure aujourd'hui.<br /> Il est grand temps de réagir.<br /> Encore faut-il que les politiques aient la volonté d'aider le ferroviaire et cessent de tirer sur l'ambulance.<br /> Le choix du futur dirigeant de l'entreprise nous en dira long sur cette volonté.<br /> Mais il est indispensable de maintenir, de développer ce mode de transport de masse et préservateur de l'environnement.<br /> Rêvons que la nouvelle année nous apporte de bonnes nouvelles !<br /> Et bon bout d'an en attendant.
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