Jour de carence pour les cheminots : une nouvelle injustice sous prétexte d'équité

L’équité a bon dos, surtout lorsqu’elle est mise à profit pour niveler les acquis sociaux vers le bas. Les cheminots en feront une nouvelle fois les frais avec la mise en place d’un jour de carence en cas de maladie. Cette mesure a été votée le 20 novembre par l’Assemblée nationale. A l’origine, elle ne concernait que les fonctionnaires. Mais l’Assemblée a finalement voté un amendement étendant la mesure aux titulaires de régimes spéciaux… dont les cheminots.
Une mesure Sarkozyste supprimée par Hollande
La journée de carence pour les fonctionnaires avait été instaurée en 2012 sous Sarkozy. Et avait été supprimée en 2014 par Hollande, qui jugeait cette mesure « injuste et inutile ». Pour sa part, la Direction SNCF avait décidé de faire du zèle, prenant l'initiative d'imposer aux cheminots cette mesure qui, à l’époque, ne les concernait pas. La même avait fait finalement volteface, juste après la décision du TGI de Paris annulant la journée de carence mise en place à la RATP.
Des résultats peu convaincants
Ce dispositif avait soi-disant pour but de réduire le taux d’absentéisme dans le secteur public. A l’époque, l’État espérait économiser 240 millions d’euros. Le Gouvernement prétendait que la mise en place du jour de carence avait permis de diminuer de 43 % l’absentéisme en 2012 (secteur de la fonction publique territoriale pour les arrêts de deux jours). Sauf que dans le même temps, les arrêts maladie de longues durées avaient considérablement augmenté (selon une étude de l’INSEE). Des chiffres confirmés par une étude du cabinet Sofaxis (assurances fonction publique). Celle-ci pointait une augmentation de 35 % des "arrêts de 15 jours". Quant aux « économies » réalisées, elles avoisinaient les 80 millions, soit trois fois moins qu’espéré.
Le jour de carence n’a pas fait baisser le nombre d’arrêts maladie dans le secteur privé
Selon une étude de « Malakoff Médéric », le nombre d'arrêts de travail chez les salariés du secteur privé aurait progressé entre 2010 et 2016. L’assureur a constaté une augmentation de 2 points du nombre d’arrêts de travail depuis 2010. En cause, le vieillissement de la population active, les nouvelles organisations du travail générant plus de stress, le développement des troubles musculosquelettiques… A signaler aussi qu’au moment de l’abrogation de la journée de carence, une enquête de la Dares assurait que le taux d’absentéisme dans la fonction publique était proche de celui du secteur privé (3,9% contre 3,7%).
Lorsque Macron s’opposait à la remise en place du jour de carence
C’ était en 2015, il n’y a pas si longtemps. «Si l’on examine de près la situation des salariés du privé, on s’aperçoit que les deux tiers d’entre eux sont couverts par des conventions collectives qui prennent en charge les jours de carence. Donc, "en vrai", comme disent les enfants, la situation n’est pas aussi injuste que celle que vous décrivez», expliquait-il lors d’un échange avec un membre de l’opposition.
Le futur chef de l’Etat ne se trompait pas : une étude menée par l’Institut de recherche et documentation en économie de la santé, publiée en 2009, soulignait que 66% des salariés bénéficient du privé bénéficiaient d’une prise en charge du jour de carence par leur mutuelle d’entreprise.
En résumé, débarrassée de son impact dissuasif, la journée de carence n’était pas perdue pour tout le monde. Comme les déremboursements pratiqués par la Sécurité Sociale, cette mesure a pour principale vocation d’améliorer les bénéfices des groupes privés, sur le compte des salariés et des entreprises !
Et l’ « équité » dans tout ça ?
Dans la bouche de bon nombre de responsables politiques, équité est synonyme de nivellement vers le bas… Si, à première vue, les salariés du privé étaient jusqu’à présent à première vue lésés par rapport aux fonctionnaires, dans la mesure où ils devaient attendre trois jours pour percevoir leur indemnité maladie alors que ces derniers la touchaient dès le premier jour d’arrêt, il ne faut pas oublier qu’en en réalité, dans le privé, les jours de carence sont la plupart du temps compensés par l’employeur. Pour les fonctionnaires, en revanche, et désormais pour les titulaires des régimes spéciaux, aucune compensation n’est prévue : c’est pour leur poche. C’est ça, l’équité ?
Les cheminots soumis à triple peine ?
Le jour de carence existe déjà chez les cheminots. Eh bien oui, il est déjà en vigueur pour certains arrêts maladie touchant le personnel "à Statut". Et cela, avant même que l’Assemblée Nationale et les « Marcheurs » ne pensent à l’imposer aux titulaires des régimes spéciaux !
En 2012, la Direction faisait évoluer ainsi la réglementation interne dans le cadre de l'imposition d'une journée (supplémentaire) de carence : « Conformément aux dispositions de l’article 3 § 3 du chapitre 12 du statut et de l’article 12 du RH0359, la retenue du quart de solde sera ensuite appliquée sur les trois journées suivantes selon les modalités qui sont actuellement en vigueur ».
Que dit le RH 0359 ? En cas de maladie, "...une retenue du quart est toutefois effectuée pendant les quatre premiers jours de l'interruption de service, sur le traitement, les éléments fixes de rémunération assimilés au traitement du point de vue de la répercussion des absences, ainsi que, le cas échéant, sur la prime accordée en application de l'alinéa précédent. Cette retenue n'est pas effectuée lorsqu'il s'agit d’arrêts de travail d’au moins 8 jours avec sorties non autorisées".
En 2012, la direction ajoutait la journée de carence aux restrictions déjà appliquées, soit le prélèvement d’une journée entière, puis de ¾ d’une journée. Soit pratiquement 2 jours de carence en cas d’absence de moins de huit jours. Et cela, bien sûr, sans la moindre compensation !
Si la même démarche était reconduite aujourd'hui, les cheminots au Statut seraient donc soumis à triple peine :
- Prélèvement d’un jour de carence
- Prélèvement pouvant atteindre ¾ d’une journée au titre des jours suivants
- Non-compensation par une quelconque assurance ou mutuelle
Une injustice intolérable, loin de l’équité affichée !
Aux cheminots de se mobiliser pour obtenir justice !
Et, comme déjà écrit, Macron n’a rien à envier à Sarkozy !