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Accident du TGV d'essais : les lampistes seront-ils les seuls condamnés ?

Publié le par Bernard Aubin

Accident du TGV d'essais : les lampistes seront-ils les seuls condamnés ?

14 novembre 2015, aux environs de 16h00… Je reçois un coup de fil d’un collègue qui me déclare qu’un TGV aurait déraillé quelque part en Alsace, vraisemblablement sur la ligne nouvelle non encore ouverte au service commercial.  Comme beaucoup d’autres, je pense immédiatement à un attentat. Nous sommes au lendemain de l’abominable tuerie survenue à Paris et dans sa périphérie. 130 morts, 413 blessés, victimes d’un obscurantisme barbare… Et puis, un  TGV, ça ne déraille pas… a priori. Les nouvelles qui me parviennent du terrain sont apocalyptiques. Les réseaux sociaux publient des images qui laissent incrédule. Déjà se posent les premières questions. Que feraient d’hypothétiques terroristes sur une ligne non ouverte au service commercial ? Bizarre. Les autorités n’écartent pas non plus la thèse du sabotage, mais très vite, une autre vérité va s’imposer.

 

Sur le plan humain, cet accident a endeuillé de nombreuses familles. Quatre cheminots, cinq salariés de Systra, (entreprise d'ingénierie supervisant les essais) et deux invités ont perdu la vie. Depuis sa mise en circulation, aucun décès n’était survenu dans l’exploitation du TGV. Et c’est peut-être parce que l’accident était impossible qu’il est survenu. Car il s’agissait bien d’un accident, et non d’un attentat, comme l’ont établi les premiers éléments de l’enquête. La cause ? Mis de côté les actes de malveillance, les défaillances techniques de la voie ou du matériel roulant, il ne restait plus qu’une hypothèse : le non respect des lois fondamentales de la physique. Le TGV s’est trouvé projeté en dehors des voies, dans une courbe, sous l’effet de la force centrifuge. Il roulait donc trop vite. Mais alors que la SNCF désignait très tôt la survitesse comme cause de l’accident, je contestais déjà cette approche.

 

Le 19 novembre 2015, soit 5 jours après l’accident, la SNCF paraissait bien sûr d’elle. Les présidents de Mobilité et de Réseau déclaraient à l’unisson que l’enquête devrait éclaircir : « la présence imprudente d’enfants à bord et de sept personnes en cabine de conduite, un certain manque de rigueur dans la préparation de la liste des personnes et son contrôle. Enfin, sans doute figurent (...) des erreurs de comportements humains à la fois en cabine et dans la relation entre la cabine et la rame ». Et la Direction de la SNCF d’ajouter : « des procédures disciplinaires vont être engagées » et « conduiront, dès que l’enquête le permettra, aux sanctions justifiées ». En clair, les protocoles n’ont pas été respectés, il y avait trop de monde dans la cabine de conduite ce qui a distrait le conducteur, et des enfants étaient à bord. Tout cela aurait donc conduit à l’accident et à ses conséquences dramatiques... ?

 

A lire cette communication à l’emporte-pièce, j’en tombe presque de ma chaise. De quel droit peut-on pointer du doigt aussi rapidement la responsabilité de quelques exécutants ? Au point même d’évoquer des sanctions ! Cela signifierait que l’organisation des essais, les protocoles en vigueur, les consignes données, sont irréprochables... que cette prodigieuse mécanique a été délibérément contournée par des inconscients ayant délibérément pris le parti de jouer avec le feu. Dans l’absolue, tout est possible. Mais cela reste peu probable au regard des exigences que porte la SNCF dans la sélection du personnel appelé à réaliser des essais. Ceux qui connaissent l’Entreprise de l’intérieur savent à quel point la rigueur reste de mise en termes de sécurité des circulations, même si le sujet fait débat.

En revanche, le Bureau d’Enquête établit un arbre des causes de l’accident qui prouve que celui-ci n’est pas la conséquence de la seule erreur humaine, comme sous-entendu par la SNCF quelques jours après l’accident :

Accident du TGV d'essais : les lampistes seront-ils les seuls condamnés ?

Cette « erreur humaine » avait été évoquée peu après le drame. Sauf que l’erreur est humaine, et que si aucun dispositif technique ne palliait les « erreurs » des hommes, il y aurait tous les jours des milliers de morts : accidents du travail, crashes aériens, incidents industriels, pollutions chimiques ou atomiques… Le problème, c’est que les systèmes de sécurité classiques, en fonction dans tous les TGV, avaient été déconnectés pour réaliser les essais en survitesse. Jusque là, rien d’anormal, car ces dispositifs s'opposaient à la réalisation des essais. Le problème, c’est qu’ils n’ont été remplacés par… rien. La SNCF évoquait la difficulté à reprogrammer l’outil conventionnel dans le cadre des essais. Certes. Mais plutôt que de reprogrammer un dispositif lourd et complexe, n’était-il pas envisageable d’équiper la cabine de conduite d’un dispositif plus léger, ayant en mémoire les vitesses maximales à ne pas dépasser… à l’image du GPS qui sonne dès que la limite de vitesse prescrite est dépassée. Tout est possible, mais le choix avait été délibérément fait de travailler sans filet. Jusqu’à présent, tout s’était toujours bien passé !

 

 

Qui sont les vrais responsables de l’accident ? Ceux qui, en temps réel, auraient commis des erreurs de calcul ou d’application des protocoles ou ceux qui, bien en amont, ont « omis » de prévoir un des fondamentaux de la sécurité : la boucle de rattrapage… Les propos péremptoires prononcés par la direction de la SNCF cinq jours après l’accident visaient sans doute à éviter tout débat de fond. Au passage, ils étaient bien éloignés de l’attitude digne manifestée par Guillaume Pepy au lendemain de la catastrophe de Brétigny survenue en juillet 2013 : « Je ne suis pas l'expert. Ma responsabilité c'est de tout faire pour que ça ne se reproduise pas. Il y a un avant et un après Brétigny,…la SNCF est responsable de cet accident, moralement et juridiquement… je n’ai pas de conviction personnelle sur les causes précises de cet incident meurtrier….». Qu’est ce qui explique cette volte-face ?

 

Résultats des enquêtes et recommandations

 

Le 7 juillet 2016, le BEA TT  restitue son "rapport final" sur l'accident (résumé des points saillants) :

L’accident serait dû :

  • A un freinage inadapté
  • A une incompréhension entre le Cadre Traction (CTT) et le reste de l’équipe
  • A un appel interphonique pendant le freinage qui a perturbé le CTT

A souligner l’extraordinaire désinvolture du BEA TT face à l’absence de boucle de rattrapage, véritable cause de l’accident : point 9.2.7 du rapport : "par définition, une circulation d’essai doit être capable d’approcher certaines limites du système ferroviaire. Par conséquent, certains systèmes de sécurité, obligatoires sur les trains commerciaux doivent pouvoir être isolés. En l’absence de ces systèmes, la sécurité de la circulation d’essai, celle des autres trains susceptibles de se trouver au voisinage du domaine d’essai et celle des riverains repose davantage sur les procédures et sur le professionnalisme des équipes qui doivent être renforcés d’autant. Toutefois, dans certains cas, sans atteindre le niveau de sécurité des systèmes équipant les trains commerciaux, certains dispositifs techniques propres aux trains d’essais pourraient constituer des boucles en rattrapage en cas de défaillance humaine ou organisationnelle"

 Ce que l’on résumerait ainsi : dans le cadre des essais, l’un des fondamentaux de la sécurité des circulations, à savoir la boucle de rattrapage, est accessoire. Mais certains dispositifs « pourraient » éviter les conséquences d’une erreur humaine.

Non seulement le BEA TT ne condamne pas fermement l’absence de boucle de rattrapage, mais il justifie presque son absence, se réjouissant toutefois au passage de la mise en œuvre par la SNCF d’un équipement de surveillance de la vitesse en essai depuis l’accident… C’est à (re) tomber de la chaise.

A souligner une nouvelle fois l’extrême prudence du BEA TT lorsqu’il déclare « l’organisation des essais… est perfectible ». En clair, les essais avaient été mal organisés pour diverses raisons...et la SNCF doit revoir sa copie.

De même, l’organisme dénonce l’ « ambiguïté des référentiels d’essais » qui ne tiennent pas compte du fait que "les essais sont faits par des trains réels" !

Voici donc une équipe de conduite SNCF, dernier maillon de la chaîne, chargée de faire circuler un train en sécurité alors que la chaîne de commandement, l’organisation, les procédures, et l’absence de toute boucle de rattrapage rend cette finalité hors de portée, fussent-ils des professionnels de haut niveau.

En cabine de conduite, ces cheminots ne disposent ni des connaissances, ni des informations, ni de la formation, ni des outils qui leur permettraient de détecter et de corriger en temps réels des erreurs commises en amont… Ceci m’avait été amené à les qualifier d’ « équilibristes sans filet ».

 

Ce qu’ont préconisé André Claude Lacoste et Jean-Luc Wibo, mandatés par la SNCF (7 juillet 2016).

Résumé:

  • Mettre en place un « contrôle automatique des paramètres sensibles », notamment la vitesse maximale à ne pas dépasser
  • Privilégier le recours à la simulation aux essais sur le terrain
  • Elaborer un module de formation à destination des équipes de conduite d’essais
  • Mieux analyser les risques en amont et anticiper les conséquences
  • Limiter à 4 le nombre de personnes en cabine de conduite

En décodé : il n’y avait pas de boucle de rattrapage, certains essais auraient pu faire l’objet de simulations, les risques ont été mal anticipés, le nombre de personne en cabine de conduite n’était pas limité (en situation d’essais).

 

26 août 2016 : Le cabinet "Technologia" restitue un rapport qui accable Systra

 

Sollicité par le CHSCT de Systra (filiale d’ingénierie SNCF – RATP), le cabinet Technologia a livré un rapport peu flatteur de l’organisation des essais :

  • Documents de travail imparfaits
  • Risque sous-estimé : « La désactivation en survitesse du contrôleur automatique de vitesse sans aucun remplacement par un système équivalent, éliminant ainsi toute possibilité de correction d'une possible erreur humaine, induit un niveau de risque qui aurait dû être mieux identifié et recevoir une réponse appropriée. »
  • Manque de rigueur dans l’organisation des essais : . « Les fiches de poste sont génériques et n'indiquent pas le lien de subordination ».
  • Chaîne de commandement inappropriée à une gestion d’essais en temps réel : trop d’employés d’entreprises différentes interviennent, la responsabilité est diffuse. Le document censé déterminer le rôle de chacun manque de précision. Le chef d’essai, situé loin de la cabine de conduite, a-t-il réellement les moyens de faire exécuter ses ordres en temps réel ? Quel temps de réaction ?

Les experts en prévention professionnelles soulignent ainsi les nombreuses failles dans le protocole.

Pour ma part, je m’étais interrogé sur la pertinence de l’organisation des essais quelques jours seulement après l’accident (voir mon post du 24 novembre 2015 rappelé ci-après).

 

Ma réaction dans la presse suite à la publication de ce rapport : ICI

 

La Justice s'exprime à son tour fin octobre 2017

 

Après restitution d’une première enquête interne SNCF, d’un rapport d’étape du BEA TT suivi du rapport final (évoqué auparavant), d’un rapport commandé par la SNCF, de l'étude réalisée par le cabinet d'expertises Technologia, c’est au tour de la justice de s’exprimer fin octobre 2017.

Un document de 40 pages  a été adressé aux familles des victimes de l’accident. Une procédure judiciaire pour homicide involontaire a été ouverte par le tribunal de grande instance de Paris et un expert désigné par le juge d’instruction. L’auteur dénonce  «…une préparation insuffisante d’essais en survitesse», et le fait qu’il n’a pas été vérifié que «l’équipe de conduite disposait de l’ensemble des informations lui permettant d’assurer la conduite de la rame en sécurité». La prochaine étape judiciaire serait vraisemblablement la mise en examen de la SNCF comme personne morale, ainsi que de sa filiale Systra avant la fin de l’année. Celle-ci ferait suite à la mise en examen de cheminots et d’un salarié de Systra, intervenue le 19 octobre 2016.

 

Deux ans après l’accident, la thèse d’une simple « erreur humaine » s’effiloche au rythme des rapports et autres recommandations. Une position que j’avais d’ailleurs remise en cause, et même condamnée, quelques jours seulement après l’accident. Reste à voir quelles seront, au final, les conclusions de la Justice et son approche sur les responsabilités des uns et des autres.

L’on peut constater que la SNCF n’a été mise en examen que très tardivement. Les premiers accusés furent des salariés. Sauf à ce que ceux-ci aient commis des fautes, et non des erreurs, il serait difficile d’expliquer l’empressement des tribunaux à mettre en cause des salariés, sans inquiéter outre-mesure, les entreprises en charge des essais. La prudence du BEA TT, dans son analyse, n’est pas de bon augure. A la lecture de son rapport final, l’absence de boucle de rattrapage est tout juste effleurée, pas condamnée, presque excusée. Comme s’il était question, une fois de plus, de charger des humains par nature faillible pour  disculper d’autant leurs employeurs…

Les lampistes seront-ils une nouvelle fois condamnés ?

 

C’est effectivement ce que l’on peut redouter, au train où vont les choses. Cet accident de TGV me rappelle, sur plusieurs points, un autre drame ferroviaire. Le 24 juillet 2013, un train à grande vitesse espagnol déraille non loin de Saint Jacques de Compostelle. Bilan : 79 morts et 140 blessés. Comme pour le TGV d’essais, les images sont effroyables. Comme pour le train de la SNCF, c’est la force centrifuge qui a fait sortir la rame dans une courbe, alors qu’elle circulait à une vitesse trop élevée. Comme en Alsace, la conduite du train a été perturbée par un appel téléphonique professionnel. Et comme pour le TGV, aucun système de sécurité n’a permis d’éviter l’accident. Et pour cause : si, en France, les dispositifs classiques avaient été déconnectés sans être remplacés, en Espagne, aucun dispositif de contrôle n’équipait cette partie de voie. Et cela pour de simples raisons financières. L’itinéraire reliait nouvelle ligne à grande vitesse au réseau classique. Sa conception aurait dû, en toute logique, intégrer un dispositif de contrôle. Eh bien non. Cette voie ouverte à la circulation en 2011 n’en bénéficiait pas, car "ce n’était pas obligatoire".

 

 

La justice espagnole était bien inspirée de ne pas mettre en examen que les conducteurs. Le juge avait dénoncé l'absence du système de freinage automatique européen ERTMS sur le tronçon où l'accident s'est produit. Il avait mis en cause, pour homicide par imprudence, 10 responsables de la société gérant le réseau ferré (Adif).

Mais au terme de l’instruction, seul le conducteur du train était poursuivi, malgré la responsabilité manifeste des concepteurs de la ligne.

Les similitudes entre l’accident du TGV d’essais et la catastrophe de l’Alvia espagnol iront-elles jusque-là ? Les lampistes seront-ils les seuls condamnés ? C’est manifestement ce que souhaitent certains, à travers leurs propos, leur réserve, leur silence…

Les victimes, leurs familles, la grande famille du rail méritent mieux que cela !

 

Mon post du 24 novembre 2015

(publié sur mon blog de l''Obs, aujourd'hui disparu)

 

  • Le couperet est tombé il y a déjà quelques jours. L’accident du TGV, en Alsace, serait bien le fait d’une vitesse excessive, ayant elle-même pour origine une « erreur humaine ». L’analyse de la SNCF, essentiellement technique, s’arrête là.

    Sans doute les deux autres enquêtes, celles de la Justice et celle du BEATT permettront d’en savoir plus. Car il reste à établir à quels niveaux se situent exactement la ou les erreurs humaines et établir au final les degrés de responsabilités de chacun, sans oublier celui de la SNCF. 

    Résumons : le TGV aurait donc freiné 11 secondes trop tard pour s’inscrire dans la courbe de décélération prévue dans le cadre des essais…

     

    Questions :

    • Le fait même d’évoquer un retard de freinage que l’on peut estimer à 11 secondes ne constitue-t-il pas l’aveu implicite que les marges de sécurité ne sont pas assez élevées ?
    • Quelles ont été les instructions données au conducteur du TGV par les Cadres Tractions présents en cabine de conduites, qui avaient autorité sur lui ?
    • Quelles ont été les consignes livrées au personnel de conduite par les responsables des essais ?
    • S’il est normal que les dispositifs actionnant l’arrêt automatique du train en cas de survitesse aient été déconnectés pour procéder à des essais, de quelles informations le conducteur bénéficiait-il encore dans sa cabine ? Sont-elles suffisantes pour assurer une totale sécurité ?
    • Les procédures mises en œuvre pour assurer la sécurité de circulation du train en cas de déconnection des boucles de rattrapage sont-elles assez abouties ?
    • Plus globalement, l’organisation même des essais n’est-elle pas à revoir ?
    • Si le conducteur a été distrait dans une phase qui nécessitait une forte concentration, quelle en serait l’origine : humaine, technique ?
    • De quelle formation spécifique le conducteur a-t-il bénéficié pour assurer des essais à grande vitesse ? Celle-ci intègre-t-elle toutes les contraintes et les risques ?...

    Il serait trop facile de conclure à une erreur humaine qui, dans certains esprits, se résume à la seule "faute" d’un conducteur. Les victimes, l’ensemble de la famille des cheminots, les usagers ont droit à la vérité, toute la vérité !

     

    Autre post, daté du 27 novembre 2015

  •  

    Suite à l’accident du TGV d’Essais survenu en Alsace le 14 novembre, ayant causé la mort de 11 personnes, la SNCF vient de présenter à son staff et à certaines organisations syndicales ses « décisions ». Au centre d’entre elles, le retour à une certaine forme de « rigueur ». Un des fondamentaux de la sécurité des circulations qui se serait donc émoussé au fil du temps. Apparaît en filigrane, dans les déclarations des directeurs, l’empilage de tâches parasites qui perturbent l’encadrement en charge de la veille sécuritaire et l'empêche d’assurer pleinement ses missions. Une problématique maintes fois soulevée par les intéressés et leurs délégués, sans que la moindre solution n'y ait été apportée. Pour leur part, les directeurs d’Etablissements devront désormais analyser les Evénements de Sécurité Remarquables dès le lendemain devant une autorité nationale. Quant à la réglementation elle-même, elle ne devrait guère évoluer. « L’entreprise ne manque pas de règles de sécurité, mais de rigueur pour les appliquer », résume Guillaume Pepy.

     

    La SNCF accepte procède enfin à son mea culpa. Elle reconnait l’érosion de la « sécurité des circulations » des trains, se laissant même aller jusqu’à associer maladroitement dans ses propos 3 accidents aux causes tout à fait différentes. Le déraillement de Brétigny était incontestablement dû au un vieillissement du réseau classique connu de longue date et maintes fois dénoncé. L’Etat et la SNCF portent là une très lourde responsabilité, la dernière se rendant de plus coupable d’avoir dégradé l’organisation de la surveillance des installations et de ne pas y avoir consacré le personnel nécessaire.

    A Denguin, la principale responsabilité relèverait… de rongeurs… Il aura fallu un concours de circonstances exceptionnel pour que leur action sur un câble provoque, à la suite d’un court-circuit, l’ouverture et non la fermeture d’un signal. Les installations de sécurité sont en effet conçues pour arrêter les trains lorsqu’un dysfonctionnement se produit, jamais l’inverse…

    Quant à l’accident d’ Eckwersheim, à vrai dire, la SNCF demeure discrète sur les responsabilités, pointant une  « erreur humaine » sans l’identifier clairement. Des agents ont été « suspendus » depuis l’accident, des sanctions ont été annoncées, mais la SNCF reste totalement opaque sur le sujet.

    Ainsi, les décisions retenues et mesures prises par la SNCF après l’accident de son TGV d’essais amènent-elles plus de questions que de réponses. Si le manque de rigueur est pointé du doigt, ses origines ne sont pas détaillées. Quelles décisions, quelles organisations, et quel environnement ont abouti au fil du temps à l’érosion de cette rigueur, pourtant fondamentale ? Alors membre du CSSPF, je m’interrogeais dès 1999 sur les risques d’érosion de la sécurité des circulations à la SNCF, notamment du fait de son organisation interne. Mais bien qu’ayant lourdement insisté sur la nécessité de créer un groupe de travail sur la question, je m’étais vu opposer un refus farouche et courroucé de la part de la direction de l’Entreprise. En 2012, le syndicat FiRST publiait un sondage réalisé auprès des cheminots… Quelques extraits ci-dessous portent sur la sécurité des circulations et l’une de ses composantes essentielles, la transmission des compétences.

     

    SNCF et sécurité des circulations

     

    Selon vous, le niveau de sécurité des circulations, depuis 20 ans :

    1) 41 % Reste constant : la SNCF a su maintenir un niveau de sécurité acceptable face à toutes les contraintes qui ont pesé sur elle.

    2) 37 % N’est plus la priorité pour la SNCF, les impératifs économiques prennent le dessus.

    3) 12 % S’est amélioré : la sécurité des circulations reste la priorité absolue de la SNCF.

    4) 4% S’est dégradé : la sécurité, c’est pour les vieux.

    5) 4 % Ne se prononcent pas.

    6) 2 % J’ai désormais peur de prendre le train.

     

    Transmission des compétences

     

    Pour vous, la transmission des compétences entre cheminots :

    1) 81 % C’est une nécessité absolue dans laquelle l’entreprise ne s’implique pas assez.

    2) 16 % Se fait bien, elle permet de bien appréhender ses missions.

    3) 3 % C’est inutile, l’entreprise doit se moderniser, des compétences nouvelles doivent émerger.

     

    Plus de 4 cheminots sur 10 exprimaient déjà des doutes sur la sécurité, un chiffre qui sur un tel registre doit alerter. Quant à la transmission des compétences, le résultat révèle une situation dramatique. Or, en matière de sécurité, la transmission des savoirs et surtout de la culture de la sécurité sont prépondérants.

     

    Pour en revenir à l’accident survenu en Alsace, il ne semble donc pas que les responsabilités soient établies, ou publiées… A la Justice de trancher le moment venu et surtout, de porter ses investigations à tous les niveaux : hiérarchique, organisationnel, réglementaire, budgétaire, décisionnel… et de rendre une décision équilibrée. Force est de constater qu'ailleurs, cela n'a pas toujours été le cas !

    En Espagne, la catastrophe de Saint-Jacques de Compostelle (79 morts et 140 blessés) avait conduit la justice à mettre en examen le gestionnaire du réseau. Celui-ci s’était rendu coupable d’avoir renoncé, pour des motifs budgétaires, à équiper la portion de ligne nouvelle empruntée par le train d’un système de sécurité qui aurait pu éviter l’accident, et dont sont pourvues la quasi-totalité des lignes nouvelles. Tout cela pour aboutir à la seule condamnation du conducteur !

    Lors de la catastrophe de Zoufftgen (6 morts, 16 blessés), le cas de l’ « erreur humaine » est également relevé. La justice condamne 6 agents des CFL à des peines de prison avec sursis… Mais omet totalement d’examiner les raisons profondes, et connues de tous les professionnels, qui ont conduit à cette « erreur » (cliquez ici).

    Espérons que cette fois, les « lampistes » ne seront pas les seuls à supporter le poids de ce drame. Pour l’instant, c’est mal parti.

     

    "Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir". (Jean de La Fontaine).

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P
A la catastrophe d'Eckwersheim il faut ajouter celle de Brétigny s/Orge qui fit également une dizaine de morts à la même époque.Dans n'importe quel pays (démocratique ou tyrannique) il est évident que les + hauts responsables de l’entreprise nationale de transports concernée auraient remis sans délai leur démission au ministre des transports.En France les choses ne se passent pas ainsi.Il faut déjà comprendre que M.Guilaume Pepy et Mme Florence Parly aux salaires astronomiques (d’environ 500 000 euros/an) ayant connaissance des graves défauts de maintenance constatés ne doivent pas souvent emprunter le train !M.Guillaume Pépy,couvert d’honneurs (distinctions honorifiques)et d’argent a bien entendu été reconduit à ses fonctions sans qu’il n’ait à répondre de sa gestion désastreuse :des centaines de milliers d’euros pour la publicité,le marketing,de nombreuses suppressions d’emplois,rien ou presque pour le contrôle de qualité des matériels roulants.Mieux :Mme Parly,après avoir empoché le pactole suite à son passage à Air-France (golden parachute de près de 700 000 euros !) a été appelée à de + hautes fonctions encore (ministre des armées).Mme Parly est omnisciente :elle connaît tout ce qui concerne les transports ferroviaires et aériens mais aussi l’armée,la guerre !La réalité est évidemment toute autre.La caste de ces dirigeants est essentiellement ploutocratique,incompétente et irresponsable à l’image de son chef de file,de son icône,de son modèle :M.Carlos Ghosn.C’est évidemment une honte et un gros problème pour les Français car ce problème se solde désormais par des dizaines de morts,victimes totalement innocentes évidemment.Tout cela est révoltant,vivement le référendum d’initiative citoyenne !
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C
Voilà un article bien circonspect, très appréciable. Un point est cependant oublié : à quel moment la rame 744 a-t-elle fait l'objet d'une réelle expertise, notamment sur la souffrance de ses bogies ? et la voie ? Une coulée d'huile presque perpendiculaire à la voie, n'a JAMAIS été analysée. Elle ne suivait pas le tracé des voitures qui ont glissé hors de la voie de façon tangentielle. Quid de cette enquête qui ne s'occupe A PRIORI que de certains points et pas d'autres ?...
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