Petit cheminot où vas-tu ?

Publié le par Bernard Aubin


Le Président de la SNCF ? C’était il y a fort longtemps un décideur dont la plupart des cheminots ignoraient le nom, voire l’existence. Avec ses shows à l’américaine, Jean Bergougnoux lança une nouvelle mode, suivi de près par le sulfureux Le Floch Prigent. Un être un peu exubérant qui souhaitait replacer le client au centre de l’entreprise mais dû la quitter précipitamment pour raison de Santé.

Louis Gallois n’avait donc rien inventé… ou presque. Star des médias, sa propension à livrer, sur la place publique, ses objectifs dans les moindres détails lui coûta quelques revers, mais bon. Il marqua les esprits et l'entreprise. La SNCF poursuivit son petit chemin tant bien que mal, dans un environnement concurrentiel, politique et sociétal pas toujours très favorable.

Plus conventionnelle, Anne-Marie Idrac s’essaya aussi à la communication avec une touche d'originalité. L’allusion, pas tout à fait infondée, au Mur de Berlin est encore présente dans les mémoires. Son coup de pied dans la fourmilière des relations sociales, des plus téméraires, contribua à son éviction. Quand CGT fâchée, CGT cracher (crasher Anne-Marie ?).

Et voilà enfin l’éternel Poulidor de la SNCF propulsé n°1. Celui dont Louis devait réfrénait, parfois difficilement, la fougue et les ardeurs, paix sociale oblige, tient désormais la barre de l’entreprise. Paradoxalement, ceux qui ont largement contribué au départ d’Idrac jouent aujourd’hui les vierges effarouchées, reprochant à Pépy sur le tard ses penchants libéraux et ses initiatives en tant que numéro 2. De là à regretter la gestion bicéphale ?

Il est vrai que Guillaume, le Toni Blair de la SNCF, est très à droite de la gauche et ne s’en cache pas. Celui qui connait tous les rouages de l’entreprise mais qui ne sera jamais cheminot –il a fini par en convenir dans certaines interviewes – ,se sent plus attiré par les structures économiques modernes que par les rouages ancestraux, mais jadis efficaces, de sa maison mère.

Enfin sorti d’une oppressante chrysalide, Pépy va enfin pouvoir révéler tous ses talents. Un hebdomadaire lui prête même la réputation de Nègre de Sarko. C’est lui-même qui aurait co-rédigé la lettre de mission que lui a envoyé le Président de la République. Pas de problème de conscience, donc, pour atteindre ses objectifs. Coué n'a qu'à bien se tenir.

Acte 2, le Président de la SNCF s’adresse par courrier aux cheminots. L’ambition est débordante, à la hauteur d’un personnage déterminé à montrer tout ce qu’il a dans le ventre : « après six semaine à la présidence, je souhaite d’emblée vous présenter la SNCF telle que je la vois en 2012 : un des cinq premiers du transport et de la logistique des marchandises dans le monde, le champion incontesté d’une très grande vitesse populaire et innovante, le créateur d’un service public de nouvelle génération pour les trajets de la vie quotidienne ».

Ouaou ! Ca décoiffe. Le reste de la lettre s’inspire sans doute du "n’ayez pas peur" de Jean-Paul II : la concurrence ? Pas un épouvantail. Les relations sociales ? Je vous propose d’écrire un nouveau contrat entre l’entreprise et vous. La compétitivité ? Encore plus de productivité ! La confiance ? On a des difficultés mais on est les meilleurs. Ma première initiative : rassembler les forces de fret SNCF et de Geodis…

Les observateurs auront remarqué que la stratégie de Pépy s'inspire de celle mise en œuvre, avec un succès indéniable, en Allemagne. Malgré de nombreuses fermetures de gares, des réorganisations drastiques, des alliances économiques, et surtout une ouverture précoce du réseau à la concurrence, le fret ferroviaire y a le vent en poupe. Et ce n’est pas fini. Pourquoi ce qui a réussi en Allemagne serait inabordable en France ?

Il n’y a pas de raison. Mais le succès de cette réforme, outre-Rhin, ne doit pas dissimuler d’importants reculs sociaux. Les cheminots allemands ont depuis plusieurs années perdu leur statut de fonctionnaire. Seuls les anciens en bénéficient encore. La charge de travail s’est accrue, les conditions se sont dégradées. Et lorsque qu'un enfant voit le conducteur de son train, il dit "bonjour pépé !". Un tel effort était-il indispensable ?

Les cheminots réclamaient, depuis des lustres, une réelle synergie entre groupe SNCF et maison mère. Dans leur esprit, il s’agissait bien d’utiliser les ressources et le réseau de filiales pour alimenter les trains de fret. Ils vont bientôt être exaucés : la création d’une grande branche SNCF va au delà de leurs espérance. D’autant qu’elle implique à terme une filialisation de fret SNCF !

Quid du statut des cheminots ? La phrase de Guillaume Pépy « Je vous propose d’écrire un nouveau contrat entre l’entreprise et vous » n’a pas suscité de réaction particulière. Elle est pourtant chargée de sens et peut être interprétée au premier degré. Est-ce le prolongement, au stade individuel, d’une démarche en cours visant à adapter la règlementation du personnel à l’environnement immédiat ?

Je partage l’optimisme du nouveau Président sur l’avenir de la SNCF… Ou plutôt du groupe SNCF. Pour mémoire, la maison mère supprime 2000 emplois fret cette année. Je suis sûr que Guillaume Pépy gagnera son paris. Le groupe SNCF se hissera au rang des plus grand opérateurs de transport européens.

Mais je suis tout autant convaincu que cette réussite économique se fera au détriment d’acquis sociaux obtenus au prix d’années de combats. Les cheminots seront les grands perdants du succès de la SNCF. Et ce ne sont certainement pas les attaques menées par le Gouvernement et une large majorité de partenaires sociaux contre le pluralisme syndical qui permettront, en son temps, de jeter les bases d’une quelconque résistance.

Petit cheminot où vas-tu ?
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article