SNCF : pourquoi le conflit dure

Publié le par Bernard Aubin

 

Cumulé, le nombre de journées de grèves atteint des sommets. Les écrans de fumée dressés devant une réforme brutale, idéologique, anti-sociale ont fait long feu. Au point d'amener certains observateurs à conclure que le front syndical demeurait uni. Uni, pas vraiment et même loin de là.  Sauf que les circonstances, et notamment une virulence des attaques ont mené à la convergence des actions, même à contre-cœur. La réforme a catalysé l’hostilité des cheminots de tous collèges. Une réaction que les syndicats, fussent-ils modérés, ne pouvaient s'affranchir de relayer. La mobilisation aurait pu s’estomper pour un autre motif que l’usure : cette fracture du front syndical, si souvent annoncée, qui finalement ne s'est pas réalisée. Pourquoi ?

 

Un article publié récemment dans l’Express pointe l'une des raisons du statu quo. Pétri de neurones et d’orgueil, disposant – pour l’instant -, du soutien sans réserve d’une majorité de députés à son image, le jeune Président de la République a très tôt pris le parti de mener une politique anti-sociale à grande vitesse… faisant l'impasse sur la recherche de soutiens. Sûr de son fait et de sa force, Macron a fait l’économie de la phase séduction de ceux qui ne demandaient qu’à s’offrir à lui. La Conféfération CFDT, quel que soit le pouvoir en place, tourne toujours sa veste du bon côté, mais la fait cette fois dans la plus grande indifférence : «Sous le précédent quinquennat, elle a joué l'interlocuteur privilégié du pouvoir et Laurent Berger entretenait des liens réguliers avec François Hollande. Emmanuel Macron, lui, a vite fait comprendre à la CFDT qu'il n'avait pas besoin d'elle », précise le rédacteur.

 

Toujours selon l’Express, un proche du chef de l'Etat aurait enfoncé le clou : « Je ne suis pas sûr que le patron de la CFDT soit capable de peser lourd dans l'issue du conflit à la SNCF et je ne pense donc pas qu'il puisse vendre très cher son ralliement à la fin de la grève. Sous Hollande, il valait une Rolex, sous Macron, une Swatch ». Une analyse fondée au regard de cette grève qui s’éternise malgré les gesticulations de Berger. Et pour cause : la CFDT Cheminots compte en son sein de nombreux conducteurs issus d’un ancien syndicat autonome, la FGAAC. Des mécanos qui ont toujours été le fer de lance des luttes. En adoptant un attitude trop conciliante, la CFDT Cheminots serait menacée d’explosion. Une situation qui oblige constamment les dirigeants ferroviaires à pratiquer le grand écart avec leur confédération. Mais ce n’est pas tout.

 

Second syndicat d’accompagnement de la SNCF, l’UNSA est, elle aussi, toujours présente dans le conflit. Un fait qui déjoue là aussi tous les pronostics. Pour sa part, le syndicat ne connaît pas de problématique confédérale. Dans son cas, il a lieu de s’interroger sur la qualité de ses relations avec la Direction de la SNCF. Il est de notoriété publique que cette dernière a toujours soutenu les deux syndicats d’accompagnement... qui le lui ont bien rendu. Notamment en 2014, en soutenant la précédente réforme de la SNCF. La Direction aurait-elle aussi renoncé à séduire UNSA et compagnie ? Se pose plutôt la question de savoir de la forme sous laquelle elle aurait pu le faire sans éveiller de soupçons. Peut-être en créant ce bidule national, évoqué par le Canard Enchaîné. Une entité placée au niveau du groupe dont les moyens arroseraient essentiellement, voire exclusivement, les plus importants syndicats. Le sujet est sensible et bénéfice d'une certaine confidentialité. La proximité des élections professionnelles, programmées en novembre, interdit tout faux pas. La pire erreur à  commettre serait de sortir le premier du conflit : dans les urnes, la sanction serait immédiate. Une autre raison, et non des moindres, qui explique que les syndicats d’accompagnement ont, une fois n’est pas coutume, pris de parti d’accompagner peut-être jusqu'au bout… leurs homologues les plus déterminés.

 

Enfin, pour compléter l’arbre des causes de ce conflit qui dure et s’enlise, il est nécessaire de revenir aux origines de la situation que vivent les cheminots, les usagers, et sans doute que vivront bientôt l’ensemble des salariés de ce pays. Le contexte est à examiner de près. Jupiter, ou plutôt Attila, n'est pas né d’une manifestation diabolique, mais d'une expression parfaitement démocratique. De même que ses fils spirituels prétentieux et ignorants tout de la vie publique qui foisonnent à l’Assemblée Nationale. Autre élément : à la SNCF, comme ailleurs, l’érosion du rapport de force a rendu possible toutes les dérives. Ce déséquilibre est à mettre sur le compte de la montée en puissance du syndicalisme d’accompagnement, lui aussi issu d’une expression parfaitement démocratique.

 

Pour résumer, il y a quelques années seulement, une telle grève SNCF était inconcevable… D’autres actions, peut-être, mais pas celle-là. A cette époque, aucun Gouvernement ne se serait autorisé un tel dénigrement d’une entreprise et de ses de salariés. Personne n’aurait même pu imaginer la programmation aussi brutale de la fin du Statut des cheminots et de la privatisation à terme de leur entreprise. De tels projets étaient irréalistes, au regard des réactions sociales qu’ils pouvaient engendrer. Mais comme le dit la pub : "ça, c'était avant". Le monde a changé : l'individualisme, mais surtout l'indifférence et la bobo-attitude ont bousculé les repères jusqu’à aboutir à une situation quasi paradoxale. Les plus dur et les plus modérés se sont finalement rapprochés sein d’un même conflit, à défaut d'être unis. Macron destructeur, mais Macron rassembleur !

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