SNCF : mais à quel jeu joue donc l'UNSA ?

Publié le par Bernard Aubin

Les syndicats d'accompagnement envisagent-ils la fin du conflit ?

 

La question est posée par certains observateurs de la « concertation » menée depuis quelques semaines entre Gouvernement et certaines organisations syndicales. Dès le lancement de la réforme, quatre d’entre-elles semblaient unies, du moins a priori. Une même stratégie, des expressions plus ou moins concordantes, et surtout, une même propension à entretenir une action qui arrive aujourd’hui à son 23ème jour.

Du presque jamais vu à la SNCF. Sauf que derrière le masque, l’ « unité » si souvent mise en avant n’est que de circonstance. UNSA et CFDT, les deux syndicats d’accompagnement de la SNCF, espéraient, comme à l’habitude, sortir du conflit avant même d’y entrer. Sauf qu’ils ont vainement attendu la perche qui ne leur a jamais été lancée.

« A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ». Cette quête de « gloire » a conduit le Gouvernement à s’attaquer frontalement, sans précaution et sans appui interne, au dernier bastion social français. La virulence de la campagne de dénigrement lancée contre les cheminots et leur entreprise témoigne.

Sauf qu’au sein de l’entreprise, ces attaques ont marqué les esprits au fer rouge et catalysé les rancœurs. Ce n’est donc pas de gaieté de cœur que certains syndicats, aux orientations parfois diamétralement opposées, se sont retrouvés dans la même galère… C'est bien parce qu'au sein de l'entreprise, personne n'aurait compris qu'ils restent sur la touche, pas même leurs mandants.

 

« Vot’action », le piège

 

« Quand il y a une grève, plus personne ne s’en aperçoit », affirmait fièrement Nicolas Sarkozy après la mise en place d’un faux service minimum. Cet excès d’orgueil a été maintes fois démenti par les faits… Mais il n’en demeure pas moins surprenant que le mouvement des cheminots, qui perturbe au quotidien pas loin de 4 millions de voyageurs presque tous les jours depuis début avril, ne fasse au final pas plus de bruit. Un peu comme si les usagers avaient intégré le calendrier des perturbations et s’y était fait. Pendant qu'ils galèrent, le Président de la République prend des vacances, sillonne le monde, et nos bobos s’extasient devant la garde-robe de la Première dame. Cette banalisation des problèmes élargit l'humiliation aux clients. Preuve que les élus qui nous gouvernent n’aiment personne, hormis eux-mêmes.

Côté cheminots, même en perte de vitesse, la grève a été légitimée par un vote de plus de la moitié d’entre-eux contre la réforme. De l’agent d’exécution au cadre supérieur, tous  demeurent vent debout contre le démantèlement planifié de la SNCF et la remise en cause des acquis. Difficile, dans ces conditions, d'envisager une sortie honorable de conflit sachant que sur les points essentiels de la réforme, le Gouvernement persiste et signe. N’ont été ouvertes aux simulacres de « négociations » que des questions subsidiaires : la longueur de la corde qui sert à les pendre.

Quant à la question de la dette « de la SNCF », jadis cruciale, les risques qu’elle faisait courir aux salariés sont largement effacés par la réalité des reculs qu’impose la réforme : le désendettement ne bénéficierait plus aux cheminots, mais surtout aux opérateurs privés. Ceux-ci profiteront d'une remise en état du réseau rendue possible par l'assainissement financier... Cet apurement tardif, jusque là refusé à la SNCF malgré les obligations européenne, relève donc plus de la provocation que de la concession.

Le problématique de la dette mise de côté, les reculs sociaux confirmés, et la colère des cheminots exprimée par 95% des votants, tout point de sortie acceptable a été écarté... à moins de faire semblant. Ce qui ne serait pas forcément apprécié par ceux dont le porte-monnaie a été vidé par 23 jours de grève !

 

Un éclatement du front syndical ?

 

Venons-en à l’UNSA. L'organisation dément aujourd'hui toute volonté de sortir du conflit. Une fermeté qui tranche avec la position adoptée en fin de semaine dernière par son secrétaire général, après la rencontre avec Edouard Philippe : « la décision d’une sortie de la grève sera prise très rapidement dans nos structures ». Au point même d’évoquer une sortie de la grève avant le 5 juin.  «Cela va faire partie des débats que nous aurons» précise l’intéressé qui ajoute : «Nous sommes dans de vraies négociations depuis le 11 mai». En résumé, tout irait presque pour le mieux dans le meilleur des mondes. Au point que certains observateurs, très avisés et non des plus obtus, s’interrogent sur la proximité non-dissimulée entre ce syndicat les représentants du Gouvernement : « mais que leur ont-ils promis pour qu’ils agissent ainsi ? », s’exclame l’un d’eux, médusé.

En attendant, l'UNSA souffle le chaud et le froid. Reconnaissons toutefois qu’à défaut d’imposer un net recul au Gouvernement sur la problématique SNCF, le rapport de force établi par les cheminots permet de faire évoluer favorablement la législation sociale qui s’imposera aux à tous les  opérateurs ferroviaires. Au point que dans le secteur privé, les patrons grincent des dents comme jamais... ce que le Gouvernement n'avait pas anticipé. Pour autant, cette même législation constituerait , pour les salariés de la SNCF, un recul social sans précédent.

 

Le grand écart de la CFDT

 

Quelques mots aussi sur le second syndicat d’accompagnement de la SNCF : la CFDT. En 2014, la CDFT, comme l'UNSA reprenait à son compte et sans réserve l’argumentaire du Gouvernement et de la SNCF en faveur de la réforme ferroviaire.  Du moins dans un premier temps. Les responsables ont ensuite fait jouer leurs contacts au PS pour torpiller le démantèlement la réglementation du travail planifié par la SNCF. On accompagne, oui, mais jusqu’à un certain point. Placée en situation d’arnaqueuse arnaquée, la direction de la SNCF n’avait guère appréciée la volte-face de l'un de ses principaux soutiens… "S’il y a un syndicat dont il faut se méfier, c’est avant tout de la CFDT", me confiait un vieux baroudeur à mes débuts… La SNCF n'avait pas bénéficié de cet éclairage... et l'avait payé cher.

Cette fois, l’accompagnement sans réserve n’est plus à l’ordre du jour… Ce qui est compréhensible au regard des menaces que la réforme fait peser et du rejet massif qu’elle engendre. Au niveau confédéral, la complaisance reste de mise, astreignant des dirigeants cheminots plus fermes à pratiquer le grand écart.  Une seconde difficulté, pour ce syndicat, est de posséder en son sein un ancien syndicat autonome de conducteurs, la FGAAC. Une structure qui, à son apogée, faisait trembler la direction de l’Entreprise. Les conducteurs ne sont pas renommés pour laisser les bras croisés face aux attaques… Un excès de complaisance, et une partie de la structure pourrait voler en éclat… Grand écart obligatoire.

 

L’impact des élections professionnelles

 

Il ne faut pas négliger la proximité des élections professionnelles… et les enjeux qui en découlent. Le moindre faux pas risquerait de se payer au prix fort. Certes, même en cas d’erreur stratégique, la représentation syndicale ne devrait pas s'en trouver profondément bouleversée. Mais la perte de quelques points par les uns, au bénéfice d’autres, pourrait infléchir les trajectoires syndicales suivies ces dernières années. Sur un plan plus personnel, en revanche, l'impact d'une décision inadaptée demeure des plus modérées pour les principaux dirigeants. Les secrétaires généraux des deux syndicats d’accompagnement sont sur le départ. Pas encore de l’Entreprise, mais de leurs postes à responsabilité. L’un serait remplacé au prochain congrès par une représentante de la gent féminine déjà relayée par les médias… tandis que l’autre ne serait pas remplacé… par celui qui rêvait du poste depuis un certain temps. Selon l’expression consacrée, la démocratie s’exprimera. Sauf qu’en attendant, l’absence de contraintes personnelles pourrait autoriser quelques dérives…

 

Fin du Conflit : il est urgent d’attendre

 

Pour les syndicats d’accompagnement, la solution la plus sage serait tout simplement d’attendre la fin du calendrier de grèves… et de prétexter, le moment venu, que « les avancées obtenues par la négociation ne justifient pas la poursuite du mouvement ».

Pour les autres, ce type de sortie, ou une autre plus rapide, livrerait des victimes expiatoires sur un plateau. L’échec du conflit, ce sera forcément de la faute de ceux qui sont trop tôt sortis. Une aubaine pour les plus déterminés.

Jupiter, pardon, Attila pourrait également se satisfaire de l'issue du conflit et des résultats de sa politique de fermeté.

Tout le monde serait content. Les uns, pour ce qu'ils déclareront avoir obtenu, les autres, parce qu’ils ont démontré une détermination inflexible...

Une fois les cheminots "vaincus", le Pouvoir disposerait du champ libre pour lancer les pires reculs sociaux.

Et les cheminots dans tout ça ? Et les autres salariés qui ne manqueront pas de morfler à leur tour ? Et les usagers qui paieront leurs billets plus cher (eh oui, c’est bien une orientation retenue par le Gouvernement) après avoir galéré des mois durant ?…

Comme écrit bien avant ce conflit, l’avenir de chacun repose entre ses mains, pas entre celles des appareils. Une union s'est bien tissée à la SNCF. Pas forcément entre syndicats, mais entre les cheminots qui, sur le terrain, rejettent ensemble ces frontières artificielles.

A y réfléchir, il suffirait de si peu pour faire basculer les choses du bon côté. Un peu moins d’indifférence et d’égoïsme, plus de lucidité face aux réalités et la France n’en redeviendrait que plus humaine.

Attila repartirait comme il est venu... il est toujours permis d’espérer. C'est même un devoir d'espérer. Ceux qui nous ont offert ce que nous avons aujourd’hui y ont cru. Ils nous ont donné l’exemple. Sachons en être dignes !

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