SNCF : le petit Pepy est demandé à l'accueil !

Publié le par Bernard Aubin

 

3 mois après leur lancement, les « Assises Nationales de la Mobilité » ont été conclues la semaine dernière par Elisabeth Borne, Ministre des Transports. Pour effacer le train de toute perspective d’avenir, commençons par l'éliminer des esprits. Ce fut sans doute l’enjeu majeur de ces rencontres, qui ont totalement ostracisé le mode ferroviaire des mondes des transports actuels et à venir.

Les TGV, RER et autres TER qui acheminent tous les jours des centaines de milliers de banlieusards et autres voyageurs n’ont jamais été cités, comme s'ils n'avaient tout simplement jamais existé. L’acronyme SNCF a été banni du vocabulaire de la quasi-totalité des intervenants. Le « fascinateur » Messmer n’a qu’à bien se tenir. Sans la moindre once d’hypnose, le Gouvernement a réussi l’exploit d’éliminer totalement du cerveau des intervenants le rail et tout ce qui s'en approche 

Et pourtant… Durant trois mois d'assises, 600 spécialistes ont débattu de l’avenir des mobilités. 400 réunions se sont déroulées sur le territoire national. 200 contributions synthèses ont émergé… Et cela sans que cela ne débouche sur la moindre perspective de développement ferroviaire notable. Même lorsque la multimodalité était abordée, le train était oublié…

 

 

Un parcours du combattant en Transport en commun

 

 

Commençons par le commencement. Pour regagner le lieu de la rencontre, l’invitation suggérait l’emploi de divers transports en commun : la ligne 7 du métro, la gare RER Rosa Parks, le bus 150 et la ligne tram T3. Heureuse initiative au demeurant, pour un colloque traitant de l’avenir des mobilités, de proposer des acheminements en transports en commun. Mais ceux qui, comme moi, n’ont pas pris garde à vérifier les solutions proposées en ont été pour leur grade. Mon choix s’est porté, par le plus grand des hasards, sur la halte SNCF. Je pensais benoîtement faire quelques dizaines, voire quelques centaines de mètres à pied avant d’atteindre le but. C’est en descendant du train que j’eu la surprise : il me restait 1,6 km à faire à pieds. Bon, en temps normal, un vingtaine de minutes de marche et l’affaire est réglée. Sauf que sous une pluie battante, c’est beaucoup moins marrant. Seconde douche de la journée, de quoi me faire maudire les organisateurs ou me faire détester les transports en commun…

My taylor is rich...

 

 

Dès l’arrivée, de charmantes hôtesses se jettent sur vous pour vous remettre un casque. Il y aurait donc des intervenants étrangers ? Que nenni. Les différents ateliers étant rassemblés dans le même bâtiment, et séparés par quelques rideaux, il s’agissait avant tout d’éviter que  les sonos ne se parasitent entre-elles. Pour autant, la présence d’un traducteur n’aurait pas été superflue tant l’emploi de l’anglais pollua l’ensemble des interventions. L’espace C, c’était le « pitch start up ». Entre 10h00 et 10h30, on y a évoqué Data et Blockchain qui ont été détaillés par les représentant des sociétés Forcity et KeeeX… Nous prendrait-on pour des débiles ? Non, seulement pour des bobos…

 

Les mobilités de demain confisquées par les Start-up et le privé ?

 

 

Mieux utiliser les infrastructures existantes, plutôt qu’investir forcément dans la création de nouvelles, c’était l’un des objectifs assignés à ces assises par le Gouvernement. Pas forcément une mauvaise idée, dans la mesure où nous sommes tous des contribuables déjà bien ponctionnés. Il ne fallait pas pour autant s’attendre à ce que soit débattus l’avenir des lignes classiques face à l’hégémonie passée des TGV, pas plus que la galère des usagers victimes d'un réseau ferré vieillissant. Je vous le répète : ici, on ne parle pas du train. Strictly forbidden !

La parole a donc été donnée aux représentants de dizaines de petites entreprises, qui ont concentré leurs études sur des domaines bien précis. Ont été évoqués des modèles de desserte des zones peu denses, des expériences menées dans les grandes métropoles, l’expansion du vélo dans les villes, l’autopartage et le covoiturage, une meilleure adéquation entre offre et demande, des véhicules autonomes ou connectés, des dispositifs de rétribution des salariés qui délaissent leur voiture, des dizaines de solutions basées sur l’exploitation des données numériques, des dispositifs de cartographie, des applications destinées aux PMR, aveugles ou mal voyants…

Comme dit fin des années 70, la France n’a pas de pétrole, mais elle a des idées… qui en l’occurrence se limitent à la route. Des idées qui ne demandent qu’à émerger. Pour peu que ce foisonnement ne se transforme pas en fouillis ! Il est indispensable qu’à terme, le Gouvernement joue un rôle d’intégrateur tant cela part dans tous les sens…

 

Train oublié, Train éliminé, Train brisé… et Train délibérément écarté !

 

 

On aurait pu penser, espérer qu’un au moins de ces dispositifs novateurs intégrât un acheminement ferroviaire, ou proposât une articulation en temps réel entre modes de transports routiers et ferroviaire. Non, une fois de plus, le train reste persona non grata. Au point de s’interroger si des consignes n’avaient pas été données pour ce que le rail soit implicitement écarté de tout projet. Plusieurs entreprises ont eu l’opportunité d'exposer leur savoir-faire dans les kiosques mis à disposition. La plus grosse d’entre-elles, la SNCF, brillait par son absence. Il est clair que l’on en voulait nulle part, même pas sur le plus petit des strapontins.

D’ailleurs, la présence de cheminots dans la salle était réduite et discrète. Quelques hauts dirigeants erraient çà et là comme des âmes en peine, avec la discrétion du coupable et le complexe de celui qui regrette d’être né. Chacun doit rester à sa place, a fortiori quand il n’en a pas.

 

Les Assises de l’immobilité

 

Passons sur la matinée, riche en idées, pauvre en ferroviaire. Après moult débats vint le temps de se restaurer. Le comportement de tous ces gens, triés sur le volet, n’est plus de nature à m’étonner. Je constate que leurs habitudes, elles, n’ont pas changé avec le temps. A ceux qui croient encore que l’ouvrier est moins bien éduqué que les plus hautes personnalités, je peux infliger, sur la base d’une riche expérience, le plus cinglant démenti. Lorsque les buffets sont ouverts, tout ce petit monde s’y jette et s’y accroche désespérément comme à son dernier repas, empêchant les autres convives d’approcher. Pathétique…

L’explication me viendra dans l’après-midi. Une députée de LREM s’est plainte de devoir manger des pâtes et de ressortir de vieux habits depuis que sa rémunération est passée de 8000 à 5000 euros mensuels. Sans doute les participants au colloque, informés en temps réel, ont-ils craint de subir à leur tour le même sort… d’où ce vent de panique bien excusable !

 

J’entends plus... siffler le train... !

 

Vint le temps d’aborder, plus en avant encore, les solutions de mobilité de demain et cette fois en plénière. Et là, surprise, qui vient s’installer au premier rang, pas sur scène mais dans la salle ? Guillaume Pepy. 3 mois d’Assises et on l’avait presque oublié. Mais où était donc passé le petit Guillaume ? Personne ne l'attendait vraiment à l'accueil, mais on a l'a quand-même retrouvé. De là à le laisser s'exprimer... Faut pas exagérer ! Le fer, ce Gouvernement n’en veut pas. Peut-être même que de Guillaume, il n'en veut plus ? vous n’avez pas encore compris ?!  La place de Guillaume était dans les rangs ou plutôt dans le rang, pas sur l’estrade. Nouveau Président de la République, nouvelles pratiques...

Qu’on apprécie le Président de la SNCF ou pas, il aurait dû logiquement figurer sur scène parmi les acteurs, plutôt que d'être cantonné à jouer les pots de fleurs dans la salle. Guillaume Pepy ne représente-t-il pas une entreprise de transports, un groupe qui assure la mobilité de millions de personnes et France et dans le monde ?

GuiIlaume Pepy représente aussi, accessoirement, les cheminots de la SNCF. Le comportement du Gouvernement envers ce décideur est révélateur de l’intérêt accordé à la SNCF et à son personnel. Le doute n’est plus permis ! Ah oui, il y a bien Jean-Cyril Spinetta qui se charge discrètement de l’avenir du système ferroviaire. Un ex-PDG d’Air France KLM qui préside, sous la coupe du Gouvernement, à l’avenir du rail français… autre brimade, autre camouflet que rares sont les "observateurs" à révéler ! Auraient-ils perdu tout sens critique ?

 

Et si l’avenir de la route, c’était la route ?

 

 

Si l’on devait retenir une phrase des échanges qui se sont poursuivis l’après –midi, c’est celle-là: "et si l'avenir de la route, c'était la route ?" Elle a été prononcée par un intervenant qui n’en a sans doute mesuré ni la justesse, ni la portée. Cette courte intervention résume à la perfection cette seconde partie de journée, de même que la première, de même aussi que l’ensemble des "assises de la mobilité". Ben oui, le train, c’est ringard, et cela le sera encore plus demain quand nous circulerons tous à bord de nos autos écolos et autopilotées ! Bon, ce sera peut-être un peu difficile d’entrer dans Paris aux heures de pointe sans RER ou de rallier l’autre bout de la France rapidement et en toute sécurité sans TGV ni TER. Mais cà, ce n’est pas le problème de ces assises !

 

Louis Nègre : le Sénateur à qui l’on doit tout

 

S’il devait avoir un surnom, c’est « grâce à moi ». Ce truculent sénateur ne va pas sans rappeler le "pois sauteur" Hervé Mariton. Ce député s’exprimait jadis plus vite que son ombre sur tout ce qui bouge, quitte à se retrouver fréquemment confronté à ses contradictions.

Louis Nègre a le mérite, au moins jusqu’à présent, de la cohérence… mais pas celui de la mémoire. Que la nouvelle loi d’orientation sur les transports comporte un volet financier semble lui convenir. Jusque là, rien de grave. Pour ce Sénateur, qui se « réjouit de l’arrivée de la concurrence » sans préciser laquelle ni dans quel domaine, tous les pays qui y ont souscrit « s’en portent mieux » et les contribuables aussi.

L’intéressé oublie sans doute un peu vite le triste exemple de la privatisation du rail anglais qui s’est finalement transformé en cauchemar. L'Etat avait finalement été obligé de mettre la main à la poche pour remettre à niveau un réseau ferroviaire dégradé. Outre les accidents à déplorer, les compagnies privées s’étaient contentées d’exploiter un réseau sans contribuer au financement de sa maintenance. On encaisse et on s'en va...

Louis Nègre se félicite aussi de sa proposition de loi visant notamment à externaliser les cheminots, leurs ateliers, leur charges de travail,... au profit d’opérateurs privés aux dents longues. L’élu oublie qu’il a été précédé sur ce registre par un de ses collègues, Grignon, dont les travaux l'ont largement inspiré. Sera-t-il attaqué pour plagia ?

On n’entrera pas dans les détails... Evoquons toutefois rapidement la présence de Philippe Duron sur la tribune. Souvenez-vous : le fossoyeur des Intercités et autres trains de nuit. Les Corail ont été décimés par cet ancien parlementaire cumulard qui a récemment perdu la quasi totalité de ses mandats. Le malheureux échappera  au chômage. Une instance a été créée pour lui sur mesure : le Conseil d’Orientation des Infrastructures. il préside ce nouveau bidule et sera accompagné par qui ? Par Louis Nègre bien évidemment. Le monde est petit !

Trop bobo, c’est ballot !

 

Avant de rire un peu (jaune), rendons quand même hommage au seul représentant ayant bravé le diktat du Gouvernement. Non, ne rêvons pas, lui-même s’est gardé comme tous les autres de citer l'acronyme SNCF.  Dans le rôle de l'extraterrestre de service, Bruno Gazeau. Bravant la colère de Jupiter, le président de la FNAUT a osé évoquer les ralentissements et autres dysfonctionnements qui affectent TER et RER, les conditions d'accès des handicapés aux trains et aux gares, la nécessité de mettre en œuvre une application intermodale intégrant des exigences d’accessibilité en faveur des PMR et autres aveugles…

Venons-en au bobo qui a bu la tasse à vouloir en faire trop. Le représentant de l’association masculine Zéro Macho n’est pas allé dans la demi-mesure, lorsqu'il a évoqué les agressions vécues par les femmes dans les moyens de transport : « puisque 100 % des femmes ont été harcelées, c’est que 100 % des hommes sont des harceleurs » a-t-il fièrement martelé, sûr de lui. Avant qu’un brouhaha réprobateur n’envahisse la salle... Le temps que les hommes présents vérifient à la hâte s’ils ne figuraient pas sur balancetonporc.com, le bobo de service avait quelque peu infléchi ses certitudes. A vouloir trop en faire dans la démagobobo, parfois on se plante lamentablement, même auprès du public féminin très peu convaincu de cette démonstration.

Avant d’un venir à la conclusion, rendons hommage au seul intervenant ayant nommément cité la SNCF. Il s’agit d’un inconditionnel du vélo, pour qui le train doit se développer car il constitue un maillon essentiel des déplacements… à bicyclette. Avec l’avenir que réserve ces assises à la SNCF, on ne peut que lui conseiller d'investir... dans les vélorail !

 

Born(e) to be dead ?

Concluons enfin,par l'intervention du Ministre des Transports, après le visionnage de la vidéo du super Ministre de l’écologie Nicolas Hulot. Les deux n’ont pas dérogé à la règle, éliminant SNCF de leurs interventions respectives. Elisabeth Borne a finalement évoqué le rail. Avec souffrance, certes, mais il était difficile d’en faire moins. Elle a exprimé sa confiance « dans le mode ferroviaire ». « Je crois au savoir-faire des salariés » a-t-elle ajouté. Vous noterez qu’il s’agit bien du « mode ferroviaire » et non de la SNCF, et qu’il s’agit de « salariés » et non de cheminots.

Les mots ont un sens… Au sein même de l’entreprise, tous ces  technobobos qui n'ont jamais vu un rail de leur vie n’ont-ils pas remplacé, dans leurs écrits,  les « agents » par des « collaborateurs ». Vilain mot, au passage.

Recentrons nous, car Elisabeth Borne précise « les exigences » qu’elle formule auprès du « GPF » : « Des décisions vont être prises, et nous les prendrons en responsabilité », a asséné l’ancienne directrice de la stratégie SNCF et présidente de la RATP, entreprises toutes deux écartées de ces assises.

Pour le reste, et notamment la réforme en profondeur du système ferroviaire voire des règles sociales SNCF, il faudra attendre les conclusions de Jean-Cyril Spinetta. L’ancien dirigeant d’Air-France KLM est censé remettre sa copie au Gouvernement fin janvier, au retour de ses vacances d’hiver. Souhaitons-lui d’avoir été plus inspiré par la neige que par les orientations venues d'autres hauteurs que celles des montagnes.

C’est là le moindre mal à souhaiter aux cheminots !

 

 

A lire ou à relire : Assises de la Mobilité, attention, danger !

Et : 4 heures de débats sans que le train ne soit évoqué !

 

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L
Il n'y a pas de hasard...ça en dit long sur l'avenir du rail en France....
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