Fret SNCF : examen biaisé et préconisations superficielles !

Publié le par Bernard Aubin

 

Dans le cadre d’un référé daté de juillet 2017, la Cour de Comptes a une énième fois examiné la situation de la SNCF. Plus particulièrement celle de Fret SNCF.

Les « sages » s’interrogent notamment « sur la cohérence et l’efficacité de la politique menée par l’Etat sur ce volet de la politique devenu aujourd’hui totalement opérationnel ».

La Cour des Comptes met en exergue :

  • La situation fragile de Fret SNCF face à concurrence intermodale et intramodale
  • La division par 2 du nombre d’agents (14933 en 2008, 7420 en 2015)
  • La cession d’une grosse partie du parc d’engins moteurs de Fret SNCF à Akiem (262 engins, dont 101 désormais loués à Fret SNCF)
  • La baisse drastique du wagon isolé : 700 000 en 2005, plus que 150 000 en 2014
  • Les charges de structure de Fret SNCF élevées, le double de celles de VFLI lorsqu’elles sont rapportées au chiffre d’affaire
  • Le coût et le régime de travail des personnels de la SNCF « qui continuent de peser sur sa rentabilité ».

Sur le plan financier :

  • Fin 2015, la perte nette représentait encore 23,9 % du chiffre d’affaire (résultat net de – 253 M€ pour un CA de 1060 M€)
  • En 2014, l’endettement net de Fret SNCF d’élève à 4,025 G€

La Cour indique que « le règlement de cette situation apparaît comme crucial ». Elle précise que les concurrents (y compris VFLI) représentaient en 2015 38 % des parts de marché.

Les « sages » soulignent les « contradictions de l’Etat »

"Tout en affichant en permance sa volonté de soutenir le fret ferroviaire, l’Etat a, ces dernières années, pris d’importantes initiatives qui, de fait, lui sont défavorables : décret portant à 44 tonnes la limite du PTAC des poids lourds, abandon de l’écotaxe, renoncement à l’opportunité offerte pour réduire les écarts de compétitivité par l’élaboration du nouveau cadre social harmonisé applicable à cette activité (surcoût de 20 à 30 %)".

Pour la Cour des Comptes, la réforme ferroviaire de 2014 visait bien à aligner vers les bas les acquis des cheminots de la branche, au détriment du personnel de la SNCF. Ce n’est pas vraiment ce qui avait été affiché officiellement à l’époque, ni par les décideurs politiques, ni par les dirigeants de la SNCF, même si personne n’était dupe. La « surprise » de la Cour de Comptes à voir de nouvelles contraintes peser sur les opérateurs privés est très révélatrice des réels objectifs de la « réforme portant ferroviaire : « Cette réforme, destinée à harmoniser les conditions de travail de la concurrence entre tous les opérateurs concernés, a en fait alourdi l’organisation du travail pour les opérateurs ferroviaires privés ». Ah bon, ce n'était pas le but ?

 

La Cour des Comptes épingle le défaut d’une réelle ambition régalienne

 

« Les dispositions directement consacrées au fret ferroviaire dans le contrat pluriannuel de performance 2017-2026 entre l’Etat et SNCF Réseau confirment que le niveau de priorité accordé au fret dans la rénovation du réseau n’est pas cohérent avec les ambitions que l’Etat continue d’afficher pour ce mode, puisqu’elles visent seulement à accompagner la régénération du réseau de desserte fine, y compris les lignes capillaires fret, en fonction des besoins, des financements disponibles et des contraintes locales ». Le même contrat prévoit une hausse des péages fret de 4,5 % par an au-delà de l’inflation ferroviaire.

Enfin, la Cour se laisse aller à des préconisations bien superficielles, qui reportent de fait essentiellement la responsabilité de la situation de Fret SNCF sur l’opérateur et sur son personnel. Les effets pervers de la réglementation européenne (ou, en l'occurrence, de la dérèglementation des marchés) ne sont même pas effleurés. L'UE et ses soutiens libéraux, premiers responsables du déclin du rail français, sont donc implicitement dédouanés des conséquences dramatiques de leurs décisions.

Les propositions - bien superficielles - de la Cour des Comptes

  • Améliorer la structure des comptes de Fret SNCF
  • Fixer à Fret SNCF des objectifs significatifs de progression de sa productivité et l’accompagner dans leur mise en œuvre/
  • A défaut d’Ecotaxe l’Etat doit pouvoir afficher une stratégie de long terme de soutien au fret ferroviaire (aides aux transporteurs de combiné, maintien de la compensation aux péages fret..).

Il va de soi que, même mises en œuvre à la lettre, ces préconisations ne pourraient à elles seuls sauver Fret SNCF d’un déclin programmé. La Cour de Comptes le souligne elle-même dans son introduction : Fret SNCF est soumis à une concurrence routière et ferroviaire (dont l’autoconcurrence de VFLI) exacerbée. Une concurrence tout à fait légale quoi que parfaitement déloyale. Faut-il le rappeler, l’ouverture à la concurrence des transports s’est faite sans la moindre harmonisation sociale et économique préalable. Dès lors, la seule règle qui prévaut en Europe est le dumping social.

La logique qui transparaît dans l’analyse de la Cour des Comptes, à savoir la nécessité impérieuse de rogner les acquis sociaux des cheminots de la SNCF pour améliorer la compétitivité de l’opérateur historique ne résoudrait en aucun cas la problématique d’une la concurrence routière exacerbée, qui tire les prix des transports encore plus bas. Les routiers français sont peu à peu remplacés par des routiers des pays de l’Est, payés à un SMIC qui oscille entre 350 en 450 euros mensuels ! Impossible de lutter… sauf à détricoter ce qu’il reste du statut des cheminots, ou du  Code du Travail… ! Ce qui se fait progressivement en ce moment, trop lentement selon certains.

Non, Fret SNCF en peut résoudre l’équation de ces déficits à elle seule. A défaut d’une régulation de la concurrence, de l’arrêt des dumpings sociaux français et européens, du paiement par les transporteurs des coûts réels qu’ils engendrent sur les infrastructures et sur l’environnement, la SNCF et le rail en général n’ont aucune chance, sauf peut-être sur quelques niches, face à la route.

Or, ni les décideurs politiques français qui se succèdent au pouvoir, ni les instances européennes (dont nos députés européens élus DEMOCRATIQUEMENT) ne vont dans ce sens. C’est dire toute l’importance de « voter pour les bons », le moment venu, et à tous les niveaux. Sur ce registre comme sur beaucoup d’autres, cheminots et français paient cher leur aveuglement  face aux réalités politiques… et parfois syndicales !

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